THE BRUTALIST
Tous les films ne citent pas Goethe mais THE BRUTALIST, si : « Nul n’est plus esclave que celui qui croit être libre sans l’être » a dit le poète allemand, mentionné par Brady Corbet en ouverture de son magnum opus. László (Adrien Brody), Hongrois et juif fuyant l’Europe d’après-guerre, arrive aux États-Unis pour refaire sa vie et préparer l’arrivée de sa femme et de sa nièce. Même s’il débarque à Staten Island, il s’enfoncera jusqu’à Philadelphie. Selon son cousin Attila (Alessandro Nivola), vendeur de meubles là-bas, New York n’est plus en effet le champ des possibles. Nous sommes en 1947 et déjà l’Amérique montre les zones d’ombres de son rêve. En Pennsylvanie, grande terre de démocratie, ce sera peut-être différent. Et d’ailleurs quand László et Attila sont embauchés par Harry Lee (Joe Alwyn) pour refaire la bibliothèque de son père Harrison Lee Van Buren (Guy Pearce), ils goûtent à la promesse de la prospérité. Mais leur artisanat si fin et leur travail acharné sont vite balayés d’un revers de main par cette famille de grossiers artistocrates… Jusqu’à ce que Van Buren découvre qu’en Hongrie, László était un grand architecte. Émerveillé par son talent et, surtout, sa renommée, il le prend sous son aile et lui demande de faire sortir de terre un immense institut en hommage à sa femme décédée. Ce sera culturel, sportif et cultuel, avec une grande croix catholique en surplomb. Ce chantier monumental pourrait être l’œuvre de la vie de László, estime Van Buren ; c’est ce que la première partie du film, sorte de grande fable sur la chance de l’immigration, laisse penser. Mais dans une seconde partie beaucoup plus retorse, à l’image beaucoup plus sombre et d’autant plus écrasante, les Van Buren, Trump d’un autre temps, vont broyer leur protégé. László finit par ne plus construire pour le patrimoine américain mais contre. Quelque chose de mortifère se dégage de son art, sans cesse empêché par les rivalités, les faillites et les accidents. Derrière l’amitié, naît de la domination, de la cruauté. Ce jeu de massacre orchestré par un metteur en scène en pleine possession de ses moyens montre un autre fascisme : l’impérialisme sur la pensée et les corps. C’est d’autant plus grinçant, glaçant même, que le nom Van Buren trahit l’histoire d’une famille de colons hollandais venue d’Europe, probablement à cause de la famine… et qui souhaiterait fermer la porte derrière elle. Quand la femme et la nièce de László arrivent enfin jusqu’à lui, c’est avec elles tout le poids de l’Holocauste qui envahit l’écran. Le film ne cesse alors de rappeler la vulnérabilité des corps et des émotions des persécutés qui cherchent une terre pour vivre, de ceux qui « se sont crus libres, sans l’être ».
Partagez cette chronique sur :

Réalisateur : Brady Corbet
Avec : Adrien Brody, Guy Pearce, Alessandro Nivola, Felicity Jones
Pays : États-Unis
Durée : 3h34