L’ACCIDENT DE PIANO
Plus que jamais avec L’ACCIDENT DE PIANO, Quentin Dupieux maîtrise son art de raconter des histoires. Son cinéma, qui s’ouvrait il y a des années sur le « no reason » de RUBBER, se déguste par surprise, en se laissant entraîner, perdre parfois. Des films comme des contes, c’est-à-dire des histoires qui prennent l’apparence du faux, de l’impossible, pour que la réalité soit plus facile à entendre. Plus « Contes de la Crypte », que « Mille et Une Nuits », L’ACCIDENT DE PIANO se raconte au coin du feu, en frissonnant. Comme une histoire qu’auraient pu se raconter les super-héros largués de FUMER FAIT TOUSSER pour se faire peur. Sauf que cette fois-ci, elle pourrait bien être plus proche de nous qu’on ne le croit. En un plan, génial, de ce piano suspendu en l’air, Dupieux installe la menace. Sommes-nous chez les Looney Tunes ? Est-ce qu’on est là pour ricaner ? Emmitouflée dans un fatras de vêtements, Magalie, star planétaire des réseaux sociaux, vient se reposer à la montagne. Bagues aux dents, coupe improbable, diction bizarre, Adèle Exarchopoulos offre une performance dingue. Magalie est un monstre. Métaphoriquement, d’abord, tant elle rabaisse et humilie constamment son veule assistant (Jérôme Commandeur parfait) dans des scènes improbables. Mais déjà quelque chose déconne et Dupieux d’instiller par petites touches un malaise, un truc qui cloche. Un geste enfantin, un rictus déplacé, un fan obstiné (les grands yeux de Karim Leklou), un chalet trop gros… Imperceptiblement, L’ACCIDENT DE PIANO va muter en film d’horreur en révélant soudain la folie du monde. Créature des réseaux sociaux, influenceuse au talent improbable, Magalie alias Magaloche devient le messie et la martyre d’une société du spectacle née avec JACKASS. Et pour la première fois, Dupieux de tisser un pont direct entre son univers et le nôtre. Si LE DEUXIÈME ACTE riait des vertiges de l’ego du cinéma français, L’ACCIDENT DE PIANO, lui, regarde le carnage au ralenti d’une époque qui rend les gens malades de leur propre image. Et le monstre Magaloche de prendre le dessus quand soudain une journaliste tatillonne pose les bonnes questions. Comment réagit une surface quand on lui demande de la profondeur ? Mal. Radical dans sa noirceur, mais suffisamment joueur et brillant pour ne se prendre trop au sérieux et devenir sentencieux, L’ACCIDENT DE PIANO n’est pas là pour « délivrer un message ». Juste la folie du film, son nihilisme tranquille, comme un révélateur de tout ce qui déconne et nous afflige. « Changement d’époque en cours » buggait le robot à la fin de FUMER FAIT TOUSSER. Oui, et vite, s’il vous plaît.
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De : Quentin Dupieux
Avec : Adèle Exarchopoulos, Jérôme Commandeur, Sandrine Kiberlain, Karim Leklou
Pays : France
Durée : 1h28