THE INSIDER
On ne le répètera jamais assez : de tous les grands cinéastes contemporains, Steven Soderbergh fait partie des plus joueurs. Grand expérimentateur de forme, capable de passer de l’expérimental au mainstream – et d’injecter de l’un dans l’autre –, il s’amuse depuis 35 ans à ne s’imposer aucun genre, aucun style, mais à tous les triturer à sa convenance. Après PRESENCE qui, voilà quelques semaines à peine, embrassait le film de fantômes pour une réflexion passionnante sur l’œil du cinéaste comme personnage, Soderbergh revient avec un thriller d’espionnage tourné à Londres. Un homme, observé de dos et en séquence, marche dans des petites rues, entre dans un bar, rencontre un homme, effectue le trajet inverse avec lui. « On a un traître, lui dit son interlocuteur. Ta femme fait partie des suspects ». Quelques minutes suffisent à THE INSIDER pour poser ses enjeux : George (Michael Fassbender), espion de sa Majesté, doit enquêter sur une poignée de ses collègues, dont sa femme Kathryn (Cate Blanchett), qu’il vénère. Un début tranchant comme une lame, qui joue à merveille de l’aura mi-sexy mi-clinique de Michael Fassbender et de son bagage récent – on retrouve d’ailleurs ici une esthétique en écho à THE KILLER, avec un accent mis sur les lumières diégétiques. Son découpage calé sur George, agent minutieux qui ne déteste rien tant que les menteurs, THE INSIDER s’impose à l’opposé de PRESENCE, si ce n’est qu’une fois encore, le protagoniste peut apparaître comme incarnation du cinéaste qui, par sa mise en scène, est en quête d’une vérité. Ici, loin des mouvements fluides et aériens de PRESENCE, les cadrages sont donc stricts, affûtés, sondant avec insistance les secrets et mensonges de chacun. Pourtant, pas de surplus de gravité : Steven Soderbergh et son scénariste David Koepp (déjà aux commandes de PRESENCE et, voilà trois ans, de KIMI), affirment clairement leur envie de s’amuser. Impossible de ne pas les suivre dans cette entreprise où, très rapidement, l’identité du traître importe moins que l’enquête et ce qu’elle crée à l’écran. À savoir de longues, jubilatoires, souvent hilarantes scènes réunissant une magnifique bande de langues de putes jamais avares en répliques passives-agressives. Là, en un mouvement d’hybridation du thriller d’espionnage avec le whodunnit, Soderbergh convoque aussi bien l’esprit de John Le Carré et son attrait pour la psyché intime de l’espion, que celui bien vachard d’Agatha Christie, et ce qu’elle racontait des systèmes hiérarchiques. Ou comment disséquer les mécanismes qui régissent la loyauté en 93 minutes, montre en main, de pur plaisir.
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Réalisateur : Steven Soderbergh
Avec : Michael Fassbender, Cate Blanchett, Marisa Abela, Pierce Brosnan
Pays : Grande-Bretagne
Durée : 1h33