NIGHTBITCH

28/01/2025 - Par Emmanuelle Spadacenta
La réalisatrice des FAUSSAIRES DE MANHATTAN fait à nouveau du mauvais esprit mais pour la bonne cause : représenter la maternité telle qu’elle est.

Pendant treize minutes, le spectateur peut penser qu’elle est célibataire. Seule face à son fils encore bébé, aux tâches ménagères, au deuil de son métier d’artiste, profondément seule face aux autres mères de famille qui voudraient copiner, irrémédiablement seule face à ce poil qui pousse sur le menton et à ses dents qui ressemblent de plus en plus à des crocs de chien, cette femme qui n’aura pas de nom de tout le film parce qu’elle les représente toutes affronte tout toute seule. Puis, le mari débarque. Il a la tête de gentil ahuri de Scoot McNairy, acteur sans ego, et pense que la vie n’a pas vraiment changé depuis la naissance de son fils. Il voudrait manger comme avant, faire l’amour comme avant, jouer aux jeux vidéo comme avant. Sa femme, dans ses rêves les plus fous, lui met des beignes quand il lui dit que « le bonheur, c’est d’abord un choix » ou qu’il échangerait bien sa place avec la sienne. Pour survivre aux humiliations du quotidien, de son mari, de la nature, de son fils, elle retrouve son état animal. Les chiens ne mentent pas : ils la reconnaissent comme l’une des leurs. D’ailleurs elle a des mamelles qui poussent et a faim de viande crue. Elle erre en pleine nuit et creuse dans le jardin. Son corps a changé depuis qu’elle a accouché, ses priorités aussi, sa patience a vraiment des limites. Marielle Heller, comme toujours depuis qu’elle réalise, montre les gens comme ils sont. Ils ont des cernes, des boutons, les cheveux n’importe comment et la mère de NIGHTBITCH n’a pas le temps de se faire belle. Amy Adams, dans une entreprise d’humilité mémorable, livre une performance à cheval entre un travail fouillé d’introspection type Actor’s Studio et le « fais le chien » d’un atelier parascolaire de théâtre. Le résultat est drôle mais éloquent : et si devenir mère, c’était devenir zinzin, au moins un peu ? Mais le talent du duo d’enfer que forment Amy Adams et Marielle Heller, c’est d’avoir caché, sous le grotesque du postulat, une mélancolie et une tristesse sauvages. Que devient-on quand on devient mère ? Grâce à une galerie de mamans que son personnage croise à la garderie, entre deux chansons débiles et un jeu inepte, le film absout toutes ces femmes à qui on demande de prendre leur rôle au sérieux au point qu’elles doivent s’oublier. Il interroge la bienséance qu’on leur demande dans la vie en faisant tomber des barrières à l’écran : body horror à ses heures, joliment grossier, NIGHTBITCH parle du corps des femmes de manière crue et montre ce que le cinéma s’échine à cacher. C’est une lettre d’amour à celles qui ont le pouvoir de donner la vie sans que la société ne rende, elle, jamais la pareille.

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Sortie : 24.01.25 sur Disney+
Réalisateur : Marielle Heller
Avec : Amy Adams, Scoot McNairy, Mary Holland, Zoe Chao
Pays : États-Unis
Durée : 1h38
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