TIGRES ET HYÈNES : 7 questions à Jérémie Guez
Sous la pression d’une avocate, d’anciens malfrats remontent au braquo pour faire libérer un des leurs. Ils enrôlent avec eux Malik, un jeune trafiquant, qui possède désormais le destin de son beau-père, un homme à qui il doit la vie, entre ses mains. Mais qui est de nos jours vraiment taillé pour le grand banditisme ? Les braquages ne sont plus ce qu’ils étaient. Avec le cash qui ne circule plus et les codes de loyauté qui s’étiolent, TIGRES ET HYÈNES redouble d’ingéniosité pour dépeindre un milieu qui a changé et ainsi, autopsier le film de casse, un genre retors, plein de codes à déboulonner. Pour le réalisateur français, c’est encore une montée en grade. Trois films d’une noirceur radicale (BLUEBIRD, SONS OF PHILADELPHIA, KANUN) porté par un seul protagoniste ont laissé place ensuite à une série foisonnante de personnages cools et modernes, physiques et prêts à l’action. B.R.I. carton de Canal+ – dont la deuxième saison est actuellement en montage – a appris à Jérémie Guez à manier les dynamiques de pouvoir, les relations entre les personnages mais aussi à chorégraphier l’action quand les mitraillettes canardent dans tous les coins. La scène du péage, dans le dernier épisode de B.R.I., est un morceau de bravoure, challengé aujourd’hui par les scènes de casse de TIGRES ET HYÈNES – dont un braquage sur le périph’ très ambitieux. Un film comme on en fait plus et comme seules les plateformes (ici, Prime Vidéo) veulent bien les produire : sans postmodernisme relou, sans cynisme, simplement avec l’envie d’en découdre avec des personnages un peu tordus.
Est-ce qu’il y a un agencement stratégique de vos projets ?
Jérémie Guez : Franchement, non. Je n’agence rien du tout. Je ne sais même pas comment je vais finir la journée. J’ai une chance inouïe dans ma vie, c’est que c’est le désir qui me guide. Parfois on me dit : « tu n’as pas d’intérêt à faire ça » ou « ne t’engage pas sur un truc pareil ». Mais les conseils ne pèsent pas lourd par rapport à l’envie de travailler pendant un an sur quelque chose qui m’éclate. Si je veux faire dix séries de suite ou dix films de plateformes d’affilée, je le ferai.
Quand on a l’ébauche d’une histoire en tête, comment sait-on si elle tiendra sur deux heures ou sur dix épisodes de cinquante minutes ?
Je raisonne toujours en termes de films. Quand ça ne rentre pas dans deux ou trois heures, je sais que ce sera quelque chose de différent. Il faut avoir envie de passer beaucoup, beaucoup de temps avec les personnages et être persuadé que ce sera intéressant. Il faut que l’histoire soit secondaire par rapport aux trajectoires des personnages. En même temps, c’est assez anarchique comme procédé.
Est-ce que ça veut dire que lorsque l’intrigue a moins d’importance que les personnages, c’est une bonne piste pour devenir une série ?
Pas forcément. Le film, c’est un geste. La série, c’est romanesque et récurrent. Dans B.R.I, il y a tellement de personnages… Tu les prends jeunes, ils se cassent la gueule, ils remontent… Est-ce que potentiellement, c’est intéressant sur dix ans ? Ce n’est pas les Rougon-Macquart évidemment, mais il y a l’envie de déterminer un microcosme. Sur plusieurs saisons, qu’est-ce que les gens en retiendront ? TIGRES ET HYÈNES est un film de casse, c’est un film de geste. Il peut y avoir une suite. Une suite à la suite. Mais tout doit toujours se boucler.
Lors de la première partie de votre carrière, il y avait une figure centrale dans chaque film. Aujourd’hui, vous racontez des histoires de bandes. Est-ce que c’était l’inexpérience qui vous poussait à vous concentrer sur un seul personnage ? Ou est-ce les budgets croissants qui ont poussé vos ambitions narratives ?
Je ne l’ai pas fait consciemment ; je pense que c’est un mélange de tout ça. Je voulais d’abord voir si j’arrivais à raconter une histoire à travers les yeux d’une personne… Il y a aussi le fait que les films avec beaucoup de protagonistes se sont taris. Si on parle du film de braquage, j’ai l’impression qu’indépendamment de l’action, la hiérarchie des personnages dans HEAT, par exemple, n’est plus du tout possible. On a aujourd’hui un protagoniste, ou deux si c’est un face-à-face, et des personnages très satellitaires. Du personnage de Val Kilmer, on va avoir un aperçu de son histoire d’amour. On n’aura que ça de lui, pas beaucoup plus, pas beaucoup moins. Prendre six ou sept scènes pour développer un personnage même secondaire, c’est un truc qui me manque au cinéma. À partir du moment où ça me manque, j’essaie de le reproduire.
« Le film, c’est un geste. La série, c’est romanesque et récurrent. »
TIGRES ET HYÈNES est né de l’envie de vous frotter au film de casse ?
Oui, clairement. C’est un genre assez compliqué à aborder, et c’est donc un projet qui a mis très longtemps à voir le jour. C’est bien beau d’avoir l’idée, mais il fallait trouver la nature des casses.
Car c’est là, l’originalité du film : il y en a deux, ce qui rythme le film différemment.
Je voulais vraiment que le premier casse vienne clore qui était le personnage principal, Malik, au début du film. La mue s’effectue après ça, au regard des conséquences de ce premier événement. Malik perd un peu son innocence. D’habitude dans ce genre de film, à une heure du début, le personnage principal est entraîné, mûr pour l’action. Là, c’est l’inverse. Il doit repartir de zéro. Je trouvais ça intéressant de chambouler le spectateur. Je me demandais comment on peut reconnecter un film alors qu’on pense qu’émotionnellement et même en termes d’action, il n’y aura pas plus fort. Comment on repart ? Et ça a été le gros challenge de l’écriture… En fait, ça a surtout été le gros défi du montage : le fait de repartir, ça a eu un impact sur tout le début du film, dans la manière de rentrer dedans. Et du coup, après un premier essai, on a remonté le début pour y rentrer de manière beaucoup plus directe. On a donc changé un peu la structure au montage car ce qui marchait bien au scénario ne tenait plus vraiment au montage.
Est-ce que faire un film en deux mouvements, ça fait mentir la sacrosainte structure en trois actes, que beaucoup d’auteurs remettent sévèrement en cause ?
J’ai beaucoup structuré quand j’écrivais pour les autres. C’est une dramaturgie qui ne m’intéresse pas. Je suis un peu un scénariste « méthode ». J’écris des personnages et je les fais avancer, notamment avec des scènes qui me font plaisir. Je trouve que c’est un schéma très daté et j’ai une approche du scénario qui est très différente. Je pense que tout ça, c’est hérité de films qui ne sont pas si bien que ça, un peu mineurs. Et de blockbusters 90’s, de high concept. Ce n’est pas une tradition de cinéma qui m’intéresse. Les meilleurs films ont parfois des pitchs un peu bateau. Les films au scénario alambiqué, ça tient juste un premier visionnage. Je ne suis pas sûr que les grands films soient de grands scénarios.
Photos : © Mika Cotellon
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Réalisateur : Jérémie Guez
Avec : Sofiane Zermani, Waël Sersoub, Géraldine Nakache, Olivier Martinez
Pays : France
Durée : 1h49