Cannes 2024 : LES REINES DU DRAME

18/05/2024 - Par Renan Cros
Pour son premier long, Alexis Langlois mélange et ose tout. Une comédie musicale furieusement camp, punk, pop, queer, lyrique, qui explose la rétine et le cœur. L’enfant génial de Douglas Sirk et de Kenneth Anger.

En 2001, David Lynch ouvrait le nouveau siècle de cinéma par un étrange cabaret, le Silencio, où la musique jouait sans orchestre, où les chanteuses s’effondraient de lyrisme, où les identités mutaient, devant Betty et Rita secouées de larmes. Une scène de MULHOLLAND DRIVE comme un rêve, un cauchemar, à la fois proche et loin de nous. Enfant de ce 21e siècle de cinéma, Alexis Langlois est sûrement un habitué de ce Silencio, tant son cinéma navigue entre les mondes, mélange l’artifice et le rugueux, le cru et le sublime, le désuet et l’inoubliable. Si ses courts métrages (DE LA TERREUR MES SŒURS, LES DEMONS DE DOROTHY) nous avaient donné un aperçu de son monde, LES REINES DU DRAME nous y propulse avec une audace et une grâce folles. Une ode aux années 2000, un manifeste punk, un mélo lesbien déchirant, une satire queer, tout ça emballé dans un grand cinéma qui n’a peur de rien et surtout de personne.

Comme guide, Langlois choisit avec malice l’excellent Bilal Hassani, popstar d’aujourd’hui transformé dès les premières images en affreux youtubeur botoxé. Nous sommes en 2055 et le bien nommé Steevy Shady va nous révéler l’histoire tragique de Mimi Madamour, chanteuse étoile filante des années 2000. Alors dans un grand mouvement à la Douglas Sirk qui rappelle l’ouverture d’ECRIT SUR DU VENT, un coup de vent fait valser paillettes et sequins et on repart à l’orée de ce début de siècle. Un geste mélodramatique qui dit tout de l’ambition et de la sincérité de Langlois. Un grand souffle de cinéma. Comme pour toute plongée, il faut peut-être un petit temps d’adaptation, un moment pour trouver ses repères dans cette recréation fantasmée des années 2000, ce cinéma de pur studio où les personnages glissent d’un décor à l’autre. Là, sous les lumières écrasantes d’un casting de la Nouvelle Star, on découvre Mimi Madamour et Billy Koehler, la popstar en devenir, la chanteuse punk, cœurs battants orageux d’une histoire d’amour qui file à travers les époques. À la fois émerveillé et inquiet, le film saisit leur histoire d’amour comme le combat irrésolu du mainstream et de l’art. Pensé comme une flamboyante comédie musicale traversée de tubes (« Pas Touche », « J’ai fisté ton cœur »…), le film se fout très vite du réalisme et préfère nous transporter au pays des images, d’hier, d’aujourd’hui et de demain.

Citant aussi bien Lorie que Britney Spears, Ophélie Winter, Nina Hagen ou Klaus Nomi, le film n’est pourtant jamais passéiste. Au contraire, il cherche constamment à hybrider le passé avec le queer, à mélanger les identités, à être aussi bien camp que premier degré. Dans la même séquence parfois, l’ironie et le tragique se téléscopent, le cartoon et le mélodrame ne font qu’un. Glissant des nappes brumeuses des années 2000 à la froideur des années 2010, le film émeut par la rage de ses personnages, l’audace d’une mise en scène qui fabrique un film comme un abri, un refuge pour les idoles, celles et ceux qui les ont aimés et leurs cœurs brisés. Porté par une distribution phénoménale (Louiza Aura, révélation dingue, Gio Ventura, Alma Jodorowsky étonnante, Thomas Poitevin hilarant et flippant en simili Bruno Vandelli/Philippe Manœuvre, Asia Argento…), LES REINES DU DRAME sidère et réjouit à chaque instant. Bien sûr, le film est trop. Trop long, avec trop de musique, trop d’effets. Mais peut-on reprocher à un film totalement et si singulièrement lui-même d’en faire trop ? Avec LES REINES DU DRAME, il faut tout prendre, même ce qui déborde, pour en prendre plein les yeux, les oreilles et le cœur.

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Sortie : Prochainement
Réalisateur : Alexis Langlois
Avec : Louiza Aura, Gio Ventura, Bilal Hassani
Pays : France / Belgique
Durée : 1h55
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