Cannes 2024 : LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES

25/05/2024 - Par Aurélien Allin
L’entreprise (un conte sur la Shoah) est casse-gueule mais Michel Hazanavicius s’en sort avec les honneurs.

Si la filmographie de Michel Hazanavicius est inégale, il a l’immense mérite de ne jamais se répéter, affirmant une nature d’artiste insaisissable, qu’aucun genre, style ou ton ne limite. Il s’essaie aujourd’hui à l’animation pour une adaptation de « La plus précieuse des marchandises », le conte publié par Jean-Claude Grumberg en 2019. Bûcheron et Bûcheronne vivent dans la forêt entre « froid, faim, misère et solitude ». Une Guerre Mondiale fait rage et régulièrement, des trains avalent à toute allure la voie ferrée qui longe l’orée du bois. Un jour, Bûcheronne fait le vœu que le convoi lui offre un peu de ses marchandises. Elle entend alors un bébé pleurer… Tout comme son pendant littéraire, LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES entend raconter la Shoah sans que jamais ne soient prononcés les mots « juifs », « nazis » ou « Holocauste ». Michel Hazanavicius ne recule pas pour autant devant l’ampleur de la tâche qui lui incombe. Après avoir fait délicatement entrer le spectateur dans le récit avec une voix off d’introduction portée par la voix élégante et espiègle de Jean-Louis Trintignant, il présente ses personnages avec soin, et joue à merveille d’une esthétique à mi-chemin entre un Disney classique et des propositions plus modernes – notamment sur le travail des ombres, venant appuyer traits du visage et expressions. Tout juste est-on gêné par l’encombrante musique d’Alexandre Desplat qui, 80 minutes durant, tend à tout surligner. Une fois les enjeux posés, LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES s’attèle à son sujet sans détourner le regard. L’antisémitisme du Bûcheron et de ses collègues, l’humanité de la Bûcheronne, l’horreur qui se joue au bout de la ligne de voie ferrée : le film se révèle parfois d’une grande violence picturale, allant jusqu’à exprimer la déshumanisation des camps par des images dignes de Francis Bacon – des tapisseries de visages déformés par la souffrance et l’agonie. D’aucuns auraient pu imaginer LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES comme un pur « film pour les scolaires », lisse et convenu, mais Michel Hazanavicius en fait un portrait sans fard de l’horreur d’un côté, et la chronique néanmoins optimiste de ce dont le cœur humain est capable de l’autre. Avec ses personnages a priori peu aimables – comme cette Gueule Cassée au design remarquable –, il sonde l’âme des Justes. L’humanité dans ce qu’elle a de plus laid est là, contre laquelle s’élève celle prête à donner sa vie pour celle d’un enfant, prête à combattre la haine et l’oubli. Lorsque la voix de Trintignant ressurgit dans la scène finale, pour un monologue d’une grande justesse, LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES se fait alors à la fois très actuel et absolument intemporel.

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Sortie : 20/11/24
Réalisateur : Michel Hazanavicius
Avec : Jean-Louis Trintignant, Dominique Blanc, Grégory Gadebois, Denis Podalydès
Pays : France
Durée : 1h20
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