PRESENCE
Dans une grande maison inhabitée, une présence erre, tourne en rond, regarde par la fenêtre. Bientôt, une famille de quatre personnes – les parents, un garçon et une fille, tous deux adolescents – s’y installe. La présence semble attirée par la cadette, Chloe, peut-être parce qu’elle trimballe une tristesse indicible due au deuil d’une amie proche récemment décédée d’une overdose et à la peur d’être la prochaine. Bientôt, Chloe sent la présence… Parce que PRESENCE se déploie entièrement en vision subjective, celle du fantôme, et parce qu’il est son propre chef opérateur, assurant lui-même l’intégralité du cadrage, Steven Soderbergh confectionne ici le film de réalisateur ultime. Celui où le récit impose la caméra en personnage principal et où seul le regard du cinéaste, ses intentions et réactions, viennent donner vie à ce personnage, à son regard, ses intentions et réactions. Un dispositif qui, dans sa filmographie si diverse et aventureuse, n’étonne pas : Steven Soderbergh a toujours été un grand expérimentateur de formes – du montage impressionniste de L’ANGLAIS aux aberrations de NO SUDDEN MOVE. Ici, la forme pourrait tourner en rond, comme cette présence qui, au départ, semble ne pas savoir qui elle est, ni ce qu’elle fait là, encore moins qui sont ces gens ou pourquoi ils envahissent son espace. Il n’en est rien. Car la grammaire visuelle donne vie au fantôme, par des mouvements de caméra aériens, inhumains de précision. Les grands angles que Steven Soderbergh affectionne tant expriment un trouble. L’image numérique cristalline crûment réaliste instille une étrangeté. De scène en scène, toutes capturées en plans-séquences pour asseoir encore un peu plus le point de vue du cinéaste et du personnage qu’il incarne, le regard de la présence semble évoluer, prendre de l’assurance, savoir toujours un peu mieux ce qu’elle veut, ce qu’elle cherche, ce qui nécessite son attention. Comment ne pas être fasciné, alors, par l’exécution de PRESENCE et le jeu d’acteur – et ainsi les émotions ! – que l’on perçoit nettement dans ce travail de caméra ? Comment ne pas être troublé de sentir le cœur d’un fantôme quand, face à lui, les vivants apparaissent cliniques, incapables de dialogue et d’empathie (nouveau portrait acerbe de classes aisées monstrueuses après sa mini-série FULL CIRCLE) ? Ce trouble, Steven Soderbergh l’accentue au fil du récit, à mesure que l’intrigue, centrée sur des thématiques très actuelles, déploie violence, cruauté et suspense malsain. Tout comme la présence s’insinue dans la perception de Chloe, PRESENCE s’immisce en nous, redoutable machine à images et à sensations.
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Réalisateur : Steven Soderbergh
Avec : Callina Liang, Chris Sullivan, Lucy Liu, Eddy Maday
Pays : États-Unis
Durée : 1h25