WALLACE ET GROMIT : discussion express avec Nick Park et Merlin Crossingham
Séries, courts et longs-métrages : Wallace et Gromit, tandem maître et chien, semblent être partout, mais en réalité se font rares. 19 ans – depuis LE MYSTÈRE DU LAPIN-GAROU – qu’ils n’avaient pas côtoyé le format long. Et pourtant, s’il existe bien une paire iconique et intergénérationnelle, c’est bien eux. Pourquoi ? Parce que la dynamique de l’animal plus sage que l’homme et de l’humain naïf mais courageux ne prend pas une ride. Parce que ce charme désuet d’une Angleterre qui n’existe plus tout à fait (a-t-elle seulement vraiment eu lieu ?) rassure par son inébranlable permanence dans un monde qui change tout le temps. Mais aussi parce que la présence sporadique de Wallace et Gromit ne sature pas le public, tout en lui donnant envie de les retrouver à chaque fois, comme de la famille éloignée – en sympa. À l’occasion d’une rencontre avec les réalisateurs du nouvel opus, dont Nick Park, créateur originel de cet improbable duo, on a cherché à en savoir plus sur LA PALME DE LA VENGEANCE mais aussi sur la singularité de la stop-motion dans un monde qui ne jure plus que par le numérique.
Comment est arrivée cette histoire de gnomes dangereux, doublée du retour du meilleur méchant de tous les temps, avec Dark Vador et Hannibal Lecter, le pingouin Feathers McGraw ?
Nick Park : Nous étions partis dans l’idée de faire un moyen métrage d’une trentaine de minutes. Mark Burton, le scénariste, est arrivé avec cette idée de gnome, inventé par Wallace pour aider Gromit dans son jardinage, qui débloque et devient dangereux. C’était sympathique mais il semblait manquer quelque chose. Une raison pour justifier le dérèglement du robot. C’est comme ça que la figure de Feathers McGraw nous est apparue comme une évidence et que le film est devenu un long-métrage.
Merlin Crossingham : Nous ne cherchions pas à faire une suite ou à forcer le retour d’un personnage secondaire, car, tout simplement, nous ne l’avons jamais fait dans nos précédentes créations. Mais Feathers McGraw est apparu comme la parfaite solution, notamment en raison de son passif avec Wallace et Gromit. Le récit prenait une tournure personnelle. Soudain, cette histoire de gnomes se transformait en LES NERFS À VIF mais avec un pingouin.
D’ailleurs vous qualifiez LA PALME DE LA VENGEANCE de « Gnome Noir »…
Merlin : On peut même dire « Gnoir » avec un G (Rires.). Blague à part, nous nous sommes vraiment inspirés du style des films noirs, en particulier REBECCA d’Alfred Hitchcock. Le travail sur la photographie et les lumières dans ce film a été une véritable source d’inspiration. Et le calme de Feathers McGraw nous renvoyait aussi à ces méchants imperturbables, mystérieux et puissants qu’on peut croiser dans ce genre. Et il faut dire aussi qu’inventer un sous-genre comme le « Gnome Noir » nous amusait beaucoup. On aimait l’idée du contraste entre la petite tête mignonne des nains de jardin et la peur qu’elle injecte dans le film.
Nick : Dans la vraie vie, certains ont peur des gnomes et des nains de jardin, comme des clowns par exemple. Et nous souhaitions jouer avec cette angoisse. Un autre film qui nous a également inspiré fut LE VILLAGE DES DAMNÉS de Wolf Rilla. Il m’avait terrorisé quand j’étais petit ! Le comportement déshumanisé et coordonné des enfants dans le film nous a vraiment donné des idées pour mettre en scène les gnomes. Et cela même dans leur design. À l’origine, quand nous avons créé Norbo, le gnome jardinier, il était plus organique, comme Wallace et Gromit. Très vite, on s’est rendu compte qu’il ressemblait plus à un petit garçon en costume qu’à un automate. Il a donc fallu repenser son apparence, la rendre plus mécanique et figer son expression pour lui apporter cet aspect robotique.
« [Les figurines de stop-motion] ne pourront jamais être parfaites. Elles auront toujours des bosses et des creux, comme nous. »
Merlin Crossingham
La toute-puissance de la technologie, la peur de l’uniformisation et de l’automatisation sont au cœur du film. Et c’était également l’un des sujets forts du précédent long-métrage du studio Aardman, CHICKEN RUN : LA MENACE NUGGETS…
Nick : Maintenant que vous le dites… On n’y avait jamais fait attention, mais peut-être que ça se joue à un niveau subliminal. Peut-être est-ce une sorte d’angoisse industrielle inconsciente, un zeitgeist créatif ?
Merlin : Le film évoque notamment la question de l’intelligence artificielle. Quand nous avons commencé à travailler dessus, il y a quatre ans, l’IA était à peine un sujet. Un fantasme qui paraissait lointain. Et, parce que la technologie va très vite, elle est désormais partout, au cœur de notre industrie comme dans le quotidien des gens. Et LA PALME DE LA VENGEANCE résonne avec ces questionnements.
Nick : Ces bouleversements technologiques auxquels font face Wallace et Gromit, et la crainte que ces nouveautés engendrent, nous les avons aussi vécus chez Aardman. Quand TOY STORY est sorti en 1995, on se disait que notre art, la stop-motion, était fini, enterré. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé. Nous avons intégré ces nouveaux outils, c’est le cas, par exemple, de l’eau dans LA PALME DE LA VENGEANCE, qui est faite en 3D. Cependant l’essence et le travail manuel de la stop-motion sont toujours là. Il semble même y avoir une résurgence de ce savoir-faire ces derniers temps. Regardez rien que ces derniers mois : SAUVAGES de Claude Barras, MÉMOIRES D’UN ESCARGOT d’Adam Elliot et le nouveau WALLACE ET GROMIT, il y a au moins trois films en stop-motion qui sortent. Et j’en ai sûrement oublié !
La stop-motion semble avoir un statut particulier, un entre-deux entre l’animation et la prise de vue réelle. Après tout, les personnages existent réellement…
Nick : Je suis d’accord, il y a quelque chose dans la nature de la stop-motion qui permet une réelle connexion avec les personnages. On peut voir les empreintes des doigts sur les figurines et leur physicalité induit une notion de limitation. Comme pour les êtres humains, en fait.
Merlin : Elles ne pourront jamais être parfaites. Elles auront toujours des bosses et des creux, comme nous. Et le fait qu’elles soient tangibles, éclairées par de la vraie lumière et filmées par de véritables caméras, favorise aussi cette connexion.
Nick : En les manipulant, les animateurs insufflent une sorte d’âme aux marionnettes. Les changements peuvent être subtils, parfois involontaires. Tout ceci contribue à donner cette sensation d’humanité à la stop-motion, qu’on ne retrouve pas vraiment ailleurs en animation.
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Réalisateur : Nick Park et Merlin Crossingham
Avec : les voix de Ben Whitehead, Reece Shearsmith, Peter Kay, Lauren Patel
Pays : Grande-Bretagne
Durée : 1h22