LEURS ENFANTS APRÈS EUX
Le cinéma français se laisse pousser des envies de fresques générationnelles, de WEST SIDE STORY « en territoire », d’AFFRANCHIS so french. Après L’AMOUR OUF, de Gilles Lellouche, à qui on reproche une vision datée de la passion et étrangement romantique de l’ultra-violence mais à qui on reconnaît une ambition sans précédent, voici LEURS ENFANTS APRÈS EUX, adapté d’un roman de Nicolas Mathieu couronné du Prix Goncourt. Ici aussi, on ne saurait parler de la jeunesse sans singer Scorsese, jusqu’à la bande originale alignant les tubes, et c’est fatigant. C’est notamment dans la colère d’un enfant de la communauté maghrébine de cette ville du Nord que les Boukherma précipitent un film de gangsters avorté, des images de criminalité et de violence qu’on a vues et revues. Même si, dans un travelling latéral en légère contre-plongée, ils parviennent magnifiquement à rendre hommage au « Roméo et Juliette » version Robert Wise au son et à l’image, le maniérisme est irritant. D’autant que lorsque les réalisateurs de TEDDY font du cinéma plus personnel, ils touchent en plein cœur. LEURS ENFANTS APRÈS EUX suit sur six ans Anthony (Paul Kircher, fidèle à lui-même et donc un peu lassant à force), un adolescent amoureux de Steph (Angelina Woreth, LES RASCALS) trop belle pour lui. En 1992, alors qu’il emprunte en secret la moto de son père pour la rejoindre en soirée, il se la fait piquer par Hacine (Sayyid El Alami, prodigieux), refoulé à l’entrée. C’est le début d’un psychodrame qui va en venir aux mains, de manière douloureuse et viscérale, régulièrement tous les deux ans – un artifice de récit très littéraire que l’adaptation a choisi de conserver. Tous les deux ans aussi, Anthony a sa chance avec Steph mais ça rate à chaque fois. Entre temps, hors écran, sa relation à son père se dégrade, il ne se fait pas vraiment d’amis et vit sa vie dans ce bled paumé d’où tous les jeunes rêvent de s’enfuir – lui, pour le Texas. Ce récit fragmenté, s’il a l’avantage de donner de l’ampleur au portrait d’Anthony tout en soulignant l’inertie de ces lieux et de ces personnages – là où réside la force sociale du film –, oblige souvent le spectateur à construire des ponts et relier les points là où un peu de psychologie n’aurait pas fait de mal. Un peu comme Anthony fait du sur-place, le film aussi, jusqu’au dernier acte, en 1998, pendant la Coupe du Monde où LEURS ENFANTS APRÈS EUX décolle soudain vers une poésie et une beauté à couper le souffle. Même les plus sceptiques abdiqueront devant cette fin comme un coup de poing. S’il a fallu en passer pour ça par un cinéma un peu calculé, tout est pardonné.
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Réalisateur : Ludovic et Zoran Boukherma
Avec : Paul Kircher, Angelina Woreth, Sayyid El Alami, Gilles Lellouche
Pays : France
Durée : 2h16