CYCLE SEAN BAKER : LES 4 PREMIERS FILMS

22/10/2024 - Par Emmanuelle Spadacenta
FOUR LETTER WORDS, TAKE OUT, PRINCE OF BROADWAY et STARLET : les débuts underground de Sean Baker, bien avant les honneurs cannois.

Comme ceux de Richard Linklater et Kevin Smith avant lui, les débuts de Sean Baker sont le reflet, bavard et aux contours grossiers, de ce qu’un réalisateur de 20 ou 30 ans peut avoir dans la tête. Dans SLACKERS (deuxième long de Linklater), CLERKS ou FOUR LETTER WORDS, les personnages, des avatars de ceux qui les ont créés, n’arrêtent pas de jacter et ne livrent pas toujours des réflexions intéressantes. Mais par leur déconcertante honnêteté, ils – les personnages et les réalisateurs – cristallisent quelque chose de leur génération et capturent l’air de leur temps. Sean Baker va, très rapidement, sortir de lui-même et faire du cinéma pour parler des autres, moins bien nés mais avec qui il partage une solitude, un sentiment profond d’être à la marge d’une Amérique productiviste et triomphante. Les deux films qui suivent, que Baker lance galvanisé par le dénuement édicté par le mouvement danois du Dogme95 et les nouvelles technologies abordables (FOUR LETTER WORDS est tourné en pellicule mais il se tourne ensuite vers la caméra numérique), sont inspirés du socioréalisme européen mais aussi de l’authenticité du cinéma de Cassavetes. Baker se tourne vers les clandestins qui peuplent New York – dans TAKE OUT, un livreur sans-papiers pour une échoppe de restauration à emporter chinoise qui, pour rembourser ses passeurs, doit multiplier les courses et les chances de pourboires ; dans PRINCE OF BROADWAY, un immigré illégal ghanéen qui fait son bizz en vendant à la sauvette des contrefaçons, empêché par un bébé que son ex lui met dans les bras, arguant qu’il s’agit de son fils. Si TAKE OUT, entièrement tourné de nuit, emploie des codes documentaires pour revendiquer un cinéma politique – le film observe et réduit sa dramaturgie à sa forme la plus simple –, PRINCE OF BROADWAY révèle chez Sean Baker l’envie d’émouvoir davantage par le romanesque. Dans le film qui entérine le cinéaste qu’il est aujourd’hui, STARLET, Baker tricote l’histoire retorse d’une travailleuse du sexe – un thème de prédilection depuis – qui se lie d’amitié avec une vieille dame à qui, sans vraiment le vouloir mais sans vraiment le regretter non plus, elle a piqué du blé. Si la comédie prend a priori l’ascendant sur les sentiments – au sens propre comme au figuré –, l’émotion, dévastatrice, est retenue jusqu’aux tout derniers instants du film, définissant le cinéma de Sean Baker comme celui de l’altérité.

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Sortie : 22.10.24
Réalisateur : Sean Baker
Pays : États-Unis
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