Cannes 2024 : DIAMANT BRUT

19/11/2024 - Par Renan Cros
Une jeune femme chasse la célébrité. Un portrait au départ juste et précis, qui perd progressivement de sa force.

Armée d’une grande envie de cinéma et d’un regard au bon endroit, Agathe Riedinger colle au corps d’une jeune femme qui rêve de célébrité. Et passe un peu à côté du cœur.

Il y a un premier plan très fort et très beau en ouverture. Un son métallique, lourd sur un écran noir. Puis, dans une nuit froide, sous la lumière d’un lampadaire, quelque part sur un parking perdu, une jeune femme danse autour de ce poteau. Ses talons compensés tapent sur la ferraille, alourdissent la grâce recherchée, sorte de retour à la réalité, d’oxymore de cinéma qui dit tout du fantasme et de la triste réalité. Liane, 19 ans est ce que certains ont nommés « cagole », puis « bimbo », aujourd’hui « influenceuse ». Une jeune femme qui aime le clinquant, les talons hauts, le maquillage… Sous le soleil de Fréjus, coincée entre une mère absente et une petite sœur collante, les embrouilles avec les copines et le regard concupiscent des garçons, elle sait que la célébrité des réseaux sociaux est le seul moyen pour elle d’aller ailleurs. Pur film portrait, DIAMANT BRUT observe pendant 1h43 Liane sous tous les angles, toutes les coutures d’une vie fardée. On sent l’envie profonde et sincère d’Agathe Riedinger de mettre un nom, une âme, sur ce qui dans l’imaginaire collectif est réduit à un cliché. Sans ironie, sans aucun cynisme, elle observe cette jeune femme, son univers, sa façon de s’approprier son corps (notamment un plan de maquillage sidérant, tel des peintures de guerre), ses rêves de gloire. Dans un même mouvement, elle montre combien la réalité cogne cette jeune femme, la renvoie constamment à être un objet de regard, de désir, de mépris. Malou Khebizi offre tout à ce personnage et se laisse regarder par la caméra avec une force, une dignité qui tient – au moins au début – le film très haut.

Mais, à vouloir regarder un cliché en face, à vouloir lui donner du corps, Agathe Riedinger finit petit à petit par tomber dans un autre cliché. Celui d’un cinéma d’auteur – certes très carré, très bien « fait » – qui a besoin de sublimer pour exister (d’Andrea Arnold à Sean Baker en passant par Kechiche…). Par instants, le film décale son regard, s’emporte dans des nappes de violoncelle frénétique, des postures de mise en scène mystique, comme pour nous assurer qu’il n’est pas dupe, qu’il s’agit bien là d’analyser ce personnage plutôt que de véritablement l’éprouver, voire l’aimer. Tendu autour de l’attente de la réponse d’un casting pour une télé-réalité, DIAMANT BRUT suit le parcours finalement assez balisé d’un chemin de croix intérieur, une série d’humiliations et de colères qui brutalisent le personnage. Répétitif, le dispositif vise à l’épuiser alors qu’au départ le regard si précis, si juste d’Agathe Riedinger la remplissait d’une humanité, d’une tendresse par le simple temps passé avec elle. Il y a bien là quelque chose d’un 400 COUPS d’aujourd’hui, l’envie à travers l’épuisement d’un corps de raconter le destin d’une génération. Mais à trop vouloir mouler son film dans un carcan auteuriste, DIAMANT BRUT perd de vue la singularité, la beauté de son personnage. En voulant la sublimer, en croyant que seule la mise en scène peut éclairer ce personnage, le film banalise ce regard et transforme petit à petit Liane en « chair à spectateur ». Comme si, au fond, les vieux modèles de cinéma échouaient à vraiment raconter, saisir, le cœur un peu ailleurs de cette nouvelle génération digitale.

Partagez cette chronique sur :
Sortie : 20.11.24
Réalisateur : Agathe Riedinger
Avec : Malou Khebizi, Idir Azougli, Andréa Bescond
Pays : France
Durée : 1h43
Partagez cette chronique sur :

Découvrez nos abonnements

En formule 1 an ou en formule 6 mois, recevez Cinemateaser chez vous !