POUR MARNIE : Jack Thorne, à fleur de peau
Marnie (Niamh Moriarty), atteinte d’une forme rare de dystrophie musculaire, a 13 ans, une énergie folle, un humour ciselé et une grande sœur qu’elle adore. Après une poussée de fièvre et la dégradation rapide et inéluctable de son état, l’adolescente est plongée dans le coma et le conseil d’éthique de l’hôpital encourage ses parents (incarnés par Sharon Horgan et Michael Sheen, remarquables) à arrêter les soins. POUR MARNIE pourrait être sinistre mais elle se révèle au contraire admirablement lumineuse grâce au travail d’équilibriste de Jack Thorne au scénario, qui alterne scènes d’intimité empruntées au passé et prise en charge du présent par une société dépassée par sa propre morale. Alors que tout le monde se mêle du destin de Marnie, des associations aux médias ou à la communauté scientifique, ce sont la solitude de la famille et les moments de grâce que l’on garde en mémoire : une séance de maquillage, un fou rire, des mains qui se serrent. Thorne déjoue ainsi les nombreux pièges de son récit en contournant les clichés et en se concentrant sur ce qui fait sa force : l’humain. Rencontre, avec son actrice Niamh Moriarty.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de devenir, chacun à votre façon, des conteurs ?
Niamh Moriarty : Tous mes professeur.es pourront confirmer que j’ai toujours aimé écrire, et toujours avec des personnages différents ou invisibilisés. Quand j’ai compris que je pouvais aussi devenir ces personnages, leur donner vie en étant actrice, ça a tout changé pour moi.
Jack Thorne : Je voulais être acteur ou politicien, mais quand me suis rendu à une conférence du Parti Travailliste en 1997, juste après l’élection de Tony Blair, je ne me suis pas senti à ma place. Puis j’ai pratiqué le théâtre à la fac, mais là aussi j’ai compris que je ne serai jamais acteur. Ensuite, j’ai voulu devenir metteur en scène. J’ai écrit une pièce que je n’ai jamais eu les moyens de monter, mais j’ai découvert que l’écriture était mon médium. C’est ça que je voulais faire, et je n’ai plus jamais arrêté.
POUR MARNIE raconte la tension au sein d’un couple de parents confrontés à la question de la fin de vie assistée pour leur ado, Marnie. Juste avant la projection, vous disiez que vous souhaitiez par-dessus tout que le public ‘ressente’ (« I want them to feel »). Qu’entendiez-vous par là ?
Jack Thorne : Le sous-texte politique de la série est évident et très sérieux. J’ai des messages à faire passer et j’espère ouvrir le dialogue sur ces questions importantes. Mais ce qui me tient le plus à cœur, c’est que le public rie, vibre et s’enrage avec Marnie. C’est pour ça que j’écris. Si vous n’avez pas le cœur brisé, piétiné, gonflé en regardant notre histoire, c’est que j’ai mal fait mon travail.
Niamh Moriarty : Je suis d’accord avec Jack. Je déteste quand je regarde un film ou une série et que l’on me dit « Tout ça, c’est que de la fiction ». À chaque histoire, je me laisse totalement embarquer émotionnellement, je m’implique. Il faut que ce soit une expérience, sinon ça ne sert à rien.
« Ce que j’aime, c’est la crudité des sentiments et je veux les raconter de manière très brute. »
Jack Thorne
Jack, comment faites-vous, dans votre écriture, pour atteindre un tel niveau d’authenticité, souvent proche du documentaire ?
Jack Thorne : Quand je travaillais sur THIS IS ENGLAND ’86 avec Shane Meadows, notre chef accessoiriste avait trouvé des trésors d’époque absolument dingues. Il les a dispatchés sur le décor et ça rendait merveilleusement bien à la caméra. Puis Shane est arrivé et a presque tout enlevé en disant, « Quand j’étais jeune, on n’avait pas d’argent, on n’aurait jamais pu s’acheter tout ça. » J’ai énormément appris de lui et de sa façon d’aller au plus juste. Cela s’applique à l’écriture. L’authenticité doit primer sur les idées, aussi bonnes soient-elles.
Niamh Moriarty : J’ai vécu le même genre d’expérience il y a quelques années, en jouant dans une pièce de Noël écrite par Jack. Il y avait très peu de moyens et la plupart des accessoires et meubles avaient été remplacés par des boîtes. C’était à nous de créer la magie sur une scène presque vide en revenant à l’essentiel : l’émotion.
Faire pleurer le public est devenu une de vos spécialités. Je repense à une projection de THE VIRTUES qui avait bouleversé toute la salle…
Jack Thorne : Je prends ça comme un compliment ! Ce que j’aime, c’est la crudité des sentiments et je veux les raconter de manière très brute. Au-dessus de mon bureau, j’ai épinglé une phrase qui résume ma vision du travail de scénariste : « Les dialogues sont les mots prononcés par les acteurs pendant que leurs visages racontent l’histoire ». Je suis au service de leur performance, ce sont eux qui font pleurer le public, je ne prends qu’une petite part de la victoire.
Votre volonté de mettre en avant des personnages qu’on ne voit généralement jamais à l’écran est évidente, avec cette idée que l’art peut et doit changer le monde. En racontant l’histoire de Marnie, vous brisez une forme de tabou encore tenace en fiction…
Jack Thorne : Je pense que dès lors que l’on ressent de l’empathie, on se transforme intellectuellement. On pense différemment. L’association caritative anglaise pour l’égalité des personnes handicapées, Scope, a fait une étude montrant que 36% des personnes interrogées n’avaient jamais rencontré une personne en situation de handicap. C’est un chiffre qu’il faut absolument changer, en rappelant que certains handicaps sont invisibles (il a lui-même été diagnostiqué autiste en 2022, ndlr). Ce changement peut passer par la télévision.
Niamh Moriarty : POUR MARNIE est aussi là pour changer les regards. Je suis atteinte de diplégie spastique et je sais comment on me regarde. Je sens la distance qu’on met entre le monde et moi. À travers Marnie, je veux rappeler une chose très simple : je suis comme tout le monde. Ma vie est tout aussi complète et profonde. Certes, je ne peux pas courir sur la plage au coucher du soleil mais je peux en voir la beauté.
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Réalisateur : Michael Keillor / Créateur : Jack Thorne
Avec : Niamh Moriarty, Michael Sheen, Sharon Horgan, Alison Oliver
Pays : Grande-Bretagne
Durée : 4x60mn