L’IMAGINAIRE : entretien avec Yoshiaki Nishimura

05/07/2024 - Par Perrine Quennesson
En six questions, discussion avec le scénariste et producteur du film, présenté à Annecy.

En 2015, Yoshiaki Nishimura avait profité de la restructuration du Studio Ghibli pour partir et fonder, avec quelques ex-collègues, sa propre société, le Studio Ponoc. L’IMAGINAIRE est le deuxième long-métrage de cette toute jeune firme après MARY ET LA FLEUR DE LA SORCIÈRE en 2017. À l’occasion du dernier Festival d’Annecy, où L’IMAGINAIRE était présenté en compétition, nous avons rencontré Yoshiaki Nishimura, producteur et scénariste du film.

Comment est venu le désir d’adapter le roman britannique pour enfant d’A.F. Harrold?
Yoshiaki Nishimura : Pour être honnête, le pays d’origine du livre n’a pas vraiment d’importance. Ce n’est tout simplement pas un facteur. Ce qui est important pour moi, c’est de savoir si quelque chose, qu’il s’agisse d’un livre ou non, contient une vérité qui parle réellement aux enfants. Et en ce qui concerne ce livre, ce qui m’a parlé, c’est le cadre : cette histoire d’ami imaginaire, qui m’a immédiatement donné envie d’en faire un film.

Durant l’écriture, avez-vous pensé transposer l’action au Japon ?
C’est une chose à laquelle j’ai beaucoup réfléchi. Mais l’une des raisons pour lesquelles je ne l’ai pas fait, c’est que le concept d’ami imaginaire n’existe pas en tant que tel au Japon. Ou alors nous ne les appelons pas ainsi. En réalité, nous sommes plus familiers avec les notions de fantômes ou de monstres. Or ce n’est pas ainsi que je souhaitais dépeindre le personnage de Rutger, l’ami imaginaire. Ce n’est pas ce qu’il est. Je voulais vraiment montrer ce qu’est le concept d’ami imaginaire, à quel point cette « invention » est une forme de projection de soi et non une créature extérieure à soi. C’est pourquoi je n’ai pas déplacé le lieu du récit et choisi de conserver l’original, c’est à dire la campagne anglaise. À mes yeux, ça avait culturellement plus de sens.

Ce qui est particulièrement touchant dans L’IMAGINAIRE, c’est la manière dont vous vous placez à hauteur d’enfant et prenez leur parole très au sérieux…
Ce que vous venez de dire est très important pour moi. L’enfance a un pouvoir extraordinaire sur la vie d’une personne, c’est elle qui définit vraiment ce qu’elle sera une fois adulte. C’est pourquoi je crée des films d’animation destinés principalement aux enfants. C’est une période précieuse de la vie et je pense sincèrement que si quelqu’un regarde un film d’animation qu’il a aimé dans son enfance, cette expérience peut aider à créer un monde meilleur. C’est pour cela qu’il faut prendre l’enfance très au sérieux, la regarder en face. Tout souvenir, toute expérience que l’enfant cultive pendant cette période est profondément inscrit en lui. D’une certaine façon, je pense qu’il y a une sorte d’effet-miroir entre le personnage de Rutger dans le film et celui du cinéaste. Tous les deux ont ce rôle essentiel d’être présent, d’accompagner, de soutenir. Ce ne sont pas des paroles en l’air quand je dis que nous essayons d’améliorer la vie des enfants en créant des films.

« Cette mélancolie qui traverse L’IMAGINAIRE vient du sujet, mais aussi du fait que mon maître, Isao Takahata, est décédé au moment où je m’apprêtais à travailler sur le film. »

Le film voyage naturellement entre le quotidien de la petite Amanda et le monde imaginaire qui surgit à n’importe quel moment. Quel a été le processus créatif pour arriver à une telle fluidité?
Il y avait ce danger de passer trop de temps dans le monde imaginaire et la tentation, même, de faire un film purement ancré dans le fantastique, loin du réel. Mais c’est exactement ce que je voulais éviter. Donc pour dévier de la pure abstraction, je me suis astreint à écrire le passé de tous les personnages. Ainsi pour Lizzie, la mère d’Amanda, nous avons réfléchi à la façon dont elle avait rencontré son mari, à leur vie conjugale et à la manière dont elle était devenue libraire. Pour Amanda, nous avons écrit toute sa vie avant les événements du film. Et cette méthode a aussi été appliqué aux différents amis imaginaires qui peuplent le récit. Au bout du compte, si l’on compilait et mettait en scène l’ensemble de ces histoires, on pourrait ajouter quelques 20 ou 30 heures aux deux heures que fait déjà le film !

L’IMAGINAIRE touche à des sujets très difficiles, notamment le deuil et la perte d’un être cher, tout en parvenant à maintenir un sens aigu du merveilleux et de la joie…
Il y a beaucoup d’éléments personnels dans l’histoire de ce film. J’y ai inclus des événements qui se sont produits dans ma vie, ainsi que ce que ma fille a vécu. Et c’est peut-être en partie pour cela qu’il fallait qu’il y ait un sens de l’anticipation, vous savez, comme un optimisme tourné vers l’avenir. Cette mélancolie qui traverse le film vient du sujet, mais aussi du fait que mon maître, Isao Takahata (légende de l’animation, réalisateur notamment du TOMBEAU DES LUCIOLES, MES VOISINS LES YAMADA ou LE CONTE DE LA PRINCESSE KAGUYA, ndlr), est décédé juste au moment où je m’apprêtais à travailler sur ce film. La production a été traversée par d’autres deuils – j’ai notamment perdu des amis proches au même moment. Et cette notion du deuil, de la perte pour un enfant, je pense qu’en tant que société, nous avons tendance à la minimiser. À se dire qu’ils oublieront ou passeront vite à autre chose. Or je pense que la résolution et l’apaisement ne surviennent que lorsque nous prenons ces sentiments au sérieux. Je pense donc que c’est l’ensemble de ces émotions personnelles et cette réflexion qui m’ont permis de trouver ce ton que vous décriviez dans votre question.

Quelle place pensez-vous que le Studio Ponoc occupe dans l’animation japonaise ?
C’est difficile à dire car nous n’essayons pas vraiment de nous comparer. Cependant, au Japon comme dans d’autres pays développés, la société est vieillissante. Il y a moins d’enfants. Et lorsqu’il s’agit de réaliser des films, les studios voient de moins en moins en termes d’art et de création mais plutôt par le prisme de la viabilité commerciale. Aujourd’hui, de nombreux films d’animation, en particulier au Japon, s’adressent aux adultes. Et j’ai vraiment la sensation que c’est quelque chose d’assez dangereux, parce que les enfants peuvent avoir l’impression qu’ils ne sont pas prioritaires, qu’ils sont mis de côté. À la fois, c’est inquiétant pour le développement de l’estime de soi et de l’imaginaire, mais aussi ça donne l’impression que les enfants n’ont pas de place dans le monde que l’on construit. C’est pour cela qu’avec le Studio Ponoc je souhaite faire des films qui s’adressent directement à eux, qui touchent des sujets qui les intéressent. Et quand on dit « animation pour enfants », on ne parle pas de quelque chose qui pourrait être fait à la légère. C’est pourquoi nous nous concentrons sur des films d’animation magnifiques, dessinés et peints à la main. Il est très important de créer quelque chose d’authentique, d’artisanal presque, afin de montrer toute l’attention que l’on porte à notre public.

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Sortie : 05.07.24
Réalisateur : Yoshiyuki Momose
Avec : les voix originales de Kokoro Terada, Rio Suzuki, Sakura Ando
Pays : Japon
Durée : 1h45
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