Cannes 2025 : THE HISTORY OF SOUND

21/05/2025 - Par Renan Cros
L’amour en pointillés de deux hommes campés par Paul Mescal et Josh O’Connor : un mélo dont l’austérité cache des abîmes de mélancolie.

Souvent, le terme « classique » a des connotations péjoratives, comme un synonyme de sagesse. Un manque d’audace ou d’ambition. Pourtant, le classicisme, ce n’est rien d’autre qu’être au service de son sujet, essayer de créer une harmonie, un horizon qui rendent lisibles les plus complexes des émotions. Dans l’Amérique populaire du début du XXe siècle, deux jeunes étudiants en musique se rencontrent dans un bar, s’aiment, se séparent et se retrouvent quelques années plus tard, après la Première Guerre mondiale, le temps d’un voyage. Une histoire toute simple en apparence qu’Oliver Hermanus filme de manière très douce, juxtaposant les séquences, racontant au plus près de son héros le parcours silencieux d’une virilité en marge. Mais à l’instar de BROKEBACK MOUNTAINd’Ang Lee, ce cinéma de studio qui met au centre l’amour gay joue subtilement du paravent.

Car si, en apparence, THE HISTORY OF SOUND met en scène les deux acteurs fétiches du moment, Paul Mescal et Josh O’Connor – tous deux excellents, sobres et incarnés –, il n’est pas tant une histoire de corps, ni même une histoire de cœur, qu’une histoire d’échos et de mémoire. En partant à travers l’Amérique pour enregistrer, chez l’habitant, les chansons folk que se transmet la population de génération en génération, ces deux hommes cherchent à attraper une émotion. Si le phonographe capture les sons, qu’en reste-t-il des années après ? C’est là où l’aridité de THE HISTORY OF SOUND, son classicisme précis finissent par laisser entrevoir le vrai récit du film. Celle d’un homme blessé, hanté par le souvenir d’un autre, qui ne cesse alors de reproduire cette douleur. Dans les scènes banales de la vie rurale, dans les ors de la bourgeoisie anglaise, quelque part en Italie, Lionel (Paul Mescal) tient debout, avance, impose sa stature. Mais derrière le paravent de la bienséance de l’époque, il y a le souvenir de David (Josh O’Connor). Pas tant un souvenir, en fait, qu’une rémanence, une mélodie que l’on essaie de se rappeler.

En changeant la structure à rebours de sa nouvelle éponyme, narrée dans le texte par Lionel âgé, le romancier et scénariste Ben Shattuck nous fait explorer ici au présent l’histoire de cette hantise en asséchant le récit. De prime abord, tout est à la surface. Et le film de dérouler son programme, sans heurt. Mais à l’instar du cinéma de Terence Davies, l’apparente lisibilité du monde cache ici des tourments invisibles. L’émotion est là, indicible, et pourtant terrible, dans un regard, une main, un silence. In fine, quand le récit arrive à sa conclusion et que l’émotion éclate, l’abîme de mélancolie que l’on a traversé sans le savoir s’ouvre enfin sous nos pas. Signe que ce film à la déflagration lente, derrière son calme et sa mesure, sait exactement où il va.

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Sortie : 14.01.26
Réalisateur : Oliver Hermanus
Avec : Paul Mescal, Josh O’Connor, Chris Cooper, Molly Price
Pays : États-Unis
Durée : 2h07
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