MATERIALISTS
Il est fini, le temps de l’innocence. Et Celine Song est bien décidée à nous le prouver. Armée du casting le plus sexy de l’année (Dakota Johnson qui oscille entre les excellents Pedro Pascal et Chris Evans), la réalisatrice compose avec ces MATERIALISTS une petite bombe de cinéma qui derrière sa couche de gloss, son air enlevé, a la profondeur retorse des grands romans new-yorkais du début du XXe siècle. Comme ses aînés, Henry James, Edith Wharton ou Dorothy Parker, Celine Song installe son histoire « chez les heureux du monde ». La bourgeoisie new-yorkaise, où les aristocrates d’hier sont devenus les financiers d’aujourd’hui. Elle va y décortiquer la notion de couple à l’aide de ce qu’on nommait à l’époque « l’écriture réaliste » mais qui prend ici plutôt une forme de lucidité totale. Quand les romanciers de l’époque décrivaient la grâce et la disgrâce des mariages arrangés, des femmes éconduites et des vertiges de l’échelle sociale, Celine Song, elle, observe l’état du sentiment amoureux dans un monde où tout a de la valeur. Verbeux, étrangement « hors sol », MATERIALISTS a un charme étrange, comme un film d’hier qui parlerait mieux que personne d’aujourd’hui. Héroïne mal aimable, Lucy crée des couples parfaits. L’idéal des uns, l’idéal des autres, une grille à remplir. Et Celine Song de croquer un monde où l’autre est un produit, satisfait ou remboursé. Avec un aplomb fou, toujours au bord de la comédie et de l’amertume, le film pose une question terrible : l’amour suffit-il ? Sa réponse est claire : si nous sommes honnêtes, non. Tout est une question d’arrangement, de valeur, de rapports d’investissement et de rendement. Il faut voir son héroïne tomber dans les bras de Pedro Pascal, riche célibataire, et Celine Song, plutôt que de filmer la passion, capte son plaisir devant la taille de son appartement. L’ironie est mordante, le ton cinglant, emballé dans du papier de soie de cinéma. Mais la réalisatrice a l’intelligence de nouer son récit aux questions de l’époque, à ce que ce capitalisme du désir a de pervers et tragique (posséder l’autre, la satisfaction impossible…). Produits de l’époque, les personnages du film sont ainsi constamment nourris par la nuance de l’écriture « à l’ancienne», la façon que Celine Song a de les tailler dans le marbre, d’en faire des « archétypes ». Comme Chris Evans dont le charme bonhomme tient ici autant du rassurant que de la naïveté. En jouant avec l’image de la romcom mais en tabassant le romantisme, MATERIALISTS pose les bonnes questions tout en n’oubliant jamais d’être du cinéma. Et ce jusqu’à une jolie conclusion en forme de pari, à l’optimisme mélancolique. L’élégance jusqu’au bout.
Partagez cette chronique sur :

De : Celine Song
Avec : Dakota Johnson, Pedro Pascal, Chris Evans, Marin Ireland
Pays : États-Unis
Durée : 1h49