JE SUIS TOUJOURS LÀ
Si l’on voulait faire du mauvais esprit, on créerait officiellement le sous-genre du « film de dictature militaire sud-américaine ». Aucun pays n’a été épargné, ni le Chili (les SANTIAGO 73 et NO de Pablo Larraín par exemple), ni l’Uruguay (COMPAÑEROS de Álvaro Brechner), ni l’Argentine (ARGENTINA 1985 de Santiago Mitre, BUENOS AIRES 1977 de Israel Adrian Caetano), ni le Guatemala (prochainement MEXICO 86 de César Díaz), ni le Pérou (LA CHUTE DE MONTESINOS d’Eduardo Guillot) – sans compter les films de Costa-Gavras ou d’Oliver Stone. Le Brésil a aussi connu son régime répressif entre 1964 et 1985 et en guise de devoir de mémoire, ont été produits entre autres QUATRE JOURS EN SEPTEMBRE de Bruno Barreto ou L’ANNÉE OÙ MES PARENTS SONT PARTIS EN VACANCES de Cao Hamburger. Si la plupart reflète a minima la réalité du climat politique de l’époque, d’autres fictions relatent des faits historiques comme c’est le cas de Walter Salles dans cette adaptation de « Ainda Estou Aqui » de Marcelo Rubens Paiva. Ce fils raconte comment sa mère, Eunice Paiva, s’est battue pour faire acter la mort de son mari Rubens, ancien député travailliste ayant abandonné la politique, arrêté par les autorités en 1971 et jamais réapparu ensuite. C’est ainsi qu’elle découvrit que, derrière ses activités d’architecte, Rubens organisait des actes de résistance, depuis notamment le bureau de sa grande villa, au bord de la plage. Contrairement à bien des films du genre, qui illustrent l’atmosphère délétère par une image moribonde, ici le décor est idyllique et l’image noyée de lumière : les enfants Paiva n’ont qu’à traverser la rue pour jouer au volley sur le sable, la salle de réception est pleine d’amis, on écoute Gainsbourg en dansant. On s’inquiète quand l’aînée rentre après le couvre-feu, retardée par des contrôles militaires mais on pense la dictature comme un contexte, pas vraiment comme une menace. Le portrait de famille, de plus en plus tendu au fil des kidnappings de diplomates relatés à la télévision, s’assombrit radicalement quand des hommes armés prennent possession des lieux. Car c’est ça la dictature, nous dit Walter Salles : avant la torture et les geôles, il y a la menace latente d’une dépossession soudaine. La tragédie de cette famille, c’est d’être soudain prisonnière du retour impossible mais espéré du père, sclérosée par le silence des autorités et le déclassement. Ainsi, le réalisateur de CARNETS DE VOYAGE ou SUR LA ROUTE, qui a toujours vu le voyage comme la liberté, fait de cette inertie une petite mort et de cette si belle villa un tombeau. Eunice mettra une vie à obtenir la vérité, comme une réappropriation de l’histoire familiale.
Partagez cette chronique sur :
Réalisateur : Walter Salles
Avec : Fernanda Torres, Selton Mello, Valentina Herszage, Fernanda Montenegro
Pays : Brésil
Durée : 2h15