Cannes 2025 : MY FATHER’S SHADOW

18/05/2025 - Par Emmanuelle Spadacenta
Après des clips, des films réalisés pour le compte de grandes marques de mode et un court-métrage récompensé à Sundance, Akinola Davies Jr. passe au long. Un film formellement monumental, dont la portée personnelle est passionnante.

Deux frères, Akin, le plus jeune, et Remi, de quelques années son aîné, jouent dans la cour à faire s’affronter des catcheurs, dessinés et découpés sur des feuilles de papier. « Everybody’s scared of the Undertaker », grognent-ils, couronnant de toutes les victoires ce fameux combattant américain au surnom d’entrepreneur des pompes funèbres. Une petite ritournelle scandée par une voix off assène : « père, je te verrai dans mes rêves ». Akin et Remi sont des petits garçons avec des modèles d’hommes forts. Quand leur papa Folarin apparaît, au fond de la chambre parentale, leurs yeux laissent deviner une crainte et une admiration. Sope Dirisu (GANGS OF LONDON, HIS HOUSE) fait un père autoritaire, majestueux, colossal même. Il n’y a pas un bruit dans cette chambre royale, il aspire tout autour de lui. Sur le départ pour Lagos, loin d’ici, il invite ses deux fils à faire leur baluchon et à l’accompagner. C’est l’aventure. En bus, à pied puis en voiture, par-dessus le plus long pont d’Afrique, à travers les villages, ils découvrent ce Nigéria qu’ils n’ont jamais arpenté, entendent les adultes espérer un avenir meilleur pour le pays, suspendu aux résultats des élections – les premières depuis le coup d’état qui a eu lieu dix ans auparavant. À Lagos, sillonné par des forces militaires et secoué par de récentes répressions, le père trimballe ses fils, comme Akinola Davies Jr. balade sa caméra. Dans ce (premier) film très personnel, coécrit avec son grand frère, le réalisateur s’intéresse autant à ces deux garçons qui leur ressemblent, à ce père qu’ils (s’)inventent comme une légende locale – eux qui n’ont pas connu le leur (il est mort quand ils étaient tout jeunes) –, qu’à leur pays natal, le Nigéria, digne personnage à part entière qu’il filme avec appétit et nostalgie, de la luxuriante nature aux marchés bondés de Lagos. Mais l’insouciance d’une journée partagée en famille se teinte d’inquiétude politique – l’instabilité gagne –, la rencontre fortuite d’une tante émue et des discussions en aparté interpellent, et surtout, la révélation de la précarité financière du père – plus payé depuis des semaines – vient ébranler le piédestal où jusque-là il trônait fièrement. Folarin peut-il épargner ses fils de la réalité du Nigéria ? Peut-il les protéger de l’agitation ? L’admiration des deux garçons pour ce père et pour ce pays peut-il survivre au désastre ? Bien qu’Anglais d’adoption, Akinola Davies Jr. regarde son pays comme un clan sans chef, sans leader pour le défendre des turbulences. De ce grand film sur la communauté, aussi grande qu’un État, aussi intime qu’une famille, émane une angoisse toute enfantine à voir le monde des adultes trembler et s’écrouler. Comme la lettre de deux enfants à leur père, comme un souvenir qu’ils tentent de graver dans leur esprit avant qu’il ne s’évanouisse, MY FATHER’S SHADOW dévaste par le contraste entre la grande maturité de sa forme, forgée par deux adultes, et la grande souffrance des deux enfants qui s’expriment à cœur ouvert.     

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Sortie : Prochainement
Réalisateur : Akinola Davies Jr.
Avec : Sope Dirisu, Godwin Chiemerie Egbo, Chibuike Marvellous Egbo
Pays : Nigeria / Grande-Bretagne
Durée : 1h34
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