Cannes 2025 : MISSION : IMPOSSIBLE – THE FINAL RECKONING
« Nous vivons et mourrons dans l’ombre, pour nos proches comme pour ceux que nous ne rencontrerons jamais », assène un mantra de l’IMF que se répètent Ethan Hunt et ses acolytes. Depuis près de 30 ans la franchise MISSION : IMPOSSIBLE n’a eu de cesse de conjuguer générosité du spectacle et rigueur, et invité les spectateurs au cœur de ces ombres afin d’assister aux exploits de Hunt. Qu’elle dise quelque chose du style, du parcours et de la psyché de ses réalisateurs ou qu’elle tire en creux le portrait de Tom Cruise, MISSION : IMPOSSIBLE a toujours discuté avec son public, usant du métatexte plus ou moins consciemment. Jusqu’à DEAD RECKONING en 2023, probablement le seul opus vraiment ouvertement post-moderne, qui faisait converser passé et futur – ceux de Hunt, de la franchise, du cinéma – pour un discours offensif et pertinent sur le spectacle « à l’ancienne », organique et dégusté en salles, à l’heure des plateformes et de l’IA générative. Objet théorique passionnant qui ne cessait de se reformater en temps réel, DEAD RECKONING reste l’un des plus complexes et denses de la saga et, par ricochet, l’un des plus foutraques dans l’agencement de son intrigue.
Peut-être que certaines doléances en ce sens ont été adressées à Christopher McQuarrie et Tom Cruise : THE FINAL RECKONING, suite directe de DEAD RECKONING dont il mène tous les mécanismes et figures à leur paroxysme, cherche à éviter toute confusion et passe le plus clair de la première de ses trois heures à s’expliquer. Expliquer le contexte, les événements qui ont précédé, le plan que va échafauder Hunt et le résultat qu’il en attend. Si bien que THE FINAL RECKONING apparaît par instants figé dans cette obligation de clarté, engoncé dans de longues scènes de dialogues que McQuarrie parvient toutefois à dynamiser avec un montage malicieux faisant se répondre des personnages placés en des endroits et des temporalités différentes. Pourtant, d’aucuns pourraient dire que THE FINAL RECKONING n’a pas toujours le flot ou le swag de ses prédécesseurs, voire qu’il étire sa durée homérique. Et d’aucuns n’auraient pas forcément tort. Mais ce serait passer à côté de ce qu’accomplit ce huitième opus : mener à bien des trames narratives qui remontent à ROGUE NATION et les lier, le plus souvent avec intelligence et un vrai poids dramaturgique, à celles des quatre premiers opus – en particulier le premier et le troisième.
Une intention affichée dès les premiers instants, voyage au cœur de la franchise et des sept premiers volets, sur lesquels la voix off d’Angela Bassett rend hommage à Ethan Hunt : « Vous nous avez consacré votre vie avec une loyauté farouche. Sans jamais obéir aux ordres, vous ne nous avez jamais déçus. Vous étiez toujours le meilleur des hommes aux pires des moments. » Au-delà de ce que cette tirade raconte de la carrière de Tom Cruise, l’une des dernières grandes stars de cinéma qui se bat constamment pour son industrie, THE FINAL RECKONING dévoile là son esprit crépusculaire, que les personnages eux-mêmes rejettent. Pendant près de trois heures, le film observe ainsi des hommes et des femmes qui refusent l’idée d’un chemin prédestiné, qui refusent d’aller où l’intrigue, dirigée par l’IA nommée l’Entité, les emmène. Là réside l’idée brillante du film : alors qu’en termes de spectacle, il multiplie les images sidérantes et opère une surenchère écrasante – chaque set piece plus impressionnant, long et étonnant que le précédent – le propos, lui, prône la désescalade. Hunt et ses acolytes se battent contre un certain déterminisme de la pensée, contre des pouvoirs politiques et militaires qui agissent en réaction à des modèles imposés par des siècles de guerres, de méfiance, de division et de mépris du fort pour le faible – un personnage de femme Inuit incarne cette idée avec un humour particulièrement acerbe. Quand ces pouvoirs prendront-ils la bonne décision ? Quand décideront-ils, enfin, de ne plus se soumettre à ces réflexes pavloviens de surenchère ? « Faites-moi confiance », répète Hunt inlassablement en contrepartie ; la confiance comme saut de foi et alternative à ces mécanismes.
Peut-être que si l’efficacité de THE FINAL RECKONING déraille parfois, la raison est là, évidente : alors que MISSION : IMPOSSIBLE s’est le plus souvent déployé en marge ou en parallèle des réalités géopolitiques, THE FINAL RECKONING, bien que spectacle insensé irréaliste, s’inquiète et ose le dire, quitte à faire s’enrayer ses rouages. Il projette le monde dans un chaos inexorable et use d’une imagerie apocalyptique particulièrement sombre pour la franchise, et ainsi, saisit quelque chose de l’époque, cette tension écrasante, cette inversion des valeurs, ce dévoiement des faits et cet avènement de la post-vérité qui, depuis quelques années, semblent lentement ramener l’Humanité à ses pires heures et travers. Alors non, peut-être que THE FINAL RECKONING ne restera pas comme le volet au récit le plus fluide. Ce qu’il dit et capte de l’air du temps, sa capacité à injecter de l’humain dans le spectacle, en revanche, en font un segment immensément touchant, émouvant, passant avec brio du pur effroi à l’élégie, voire à la franche tristesse – les yeux de Simon Pegg brillent de larmes dès sa première scène, et les nôtres avec. Qu’une saga sache, à son huitième volet, nous surprendre encore : Tom Cruise a plus que jamais toute notre confiance.
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Réalisateur : Christopher McQuarrie
Avec : Tom Cruise, Simon Pegg, Hayley Atwell, Ving Rhames
Pays : États-Unis
Durée : 2h49