Cannes 2025 : L’INCONNU DE LA GRANDE ARCHE

17/05/2025 - Par Aurélien Allin
Les politiques publiques doivent-elles être réalistes et rentables ? Réponses avec l’histoire de l’architecte danois inconnu qui a conçu l’Arche de la Défense.

La Défense, à l’Ouest de Paris, est un quartier fascinant, tant pour son esthétique visible – ses tours stylisées, son arche, ses espaces aérés – que pour les dédales que sa dalle cache en sous-sol. Il est pourtant trop peu filmé au cinéma, notamment parce que les droits d’auteur que doivent percevoir les architectes des bâtiments seraient prohibitifs. L’INCONNU DE LA GRANDE ARCHE s’ingénie à ne pas trop filmer le quartier et pour cause : son récit se déroule au milieu des années 1980, quand les tours actuelles n’existaient pas encore toutes – ou différemment – et quand la Grande Arche n’était pas sortie de terre. Un monument, originellement nommé Le Cube, choisi sur concours par le président François Mitterrand et pensé par un architecte danois inconnu, Johan Otto von Spreckelsen. C’est à lui que s’intéresse L’INCONNU DE LA GRANDE ARCHE, un outsider que personne n’a vu venir, que d’aucuns traitent même avec condescendance et un soupçon de mépris de classe – après tout, « le Danemark est un petit pays », dit le président Mitterrand. Le brio de Stéphane Demoustier est d’ancrer tout d’abord son récit dans une certaine légèreté, un portrait rigolard, mi-tendre mi-mordant de la France des années 1980, coincée entre son arrogance et sa bonhomie, entre des désirs de grandeur et des règlements de technocrates. Impossible de ne pas se passionner pour ces coulisses du pouvoir et de la conduite publique. Et dans celles, aussi, de la pensée d’un homme qui voit son rêve le plus fou se concrétiser. Là, subtilement, le récit se fait de plus en plus inquiet et mélancolique, et L’INCONNU DE LA GRANDE ARCHE de multiplier les points communs narratifs et thématiques avec THE BRUTALIST. Ainsi Otto, habité par son Cube (figure qui revient partout dans le film, du ratio 1.33 au générique), souhaite protéger son projet et se bat-il contre des moulins, contre les réflexes de tout un système qui « privilégie la technique à l’œuvre » et qui, au final, doit toujours se soumettre à la rentabilité. Filmé avec bienveillance et campé avec encore plus d’élégance par Claes Bang, cet homme inflexible pourrait agacer. Il est au contraire touchant d’humanité et de droiture. L’architecture, art dirigé par une vision unique ensuite mise en œuvre en équipe, reste une métaphore évidente du cinéma et ainsi, Otto von Spreckelsen se fait-il le héraut de questions très actuelles sur les politiques publiques et notamment celles touchant à l’art. « Le Cube n’a pas été pensé pour être rentable », dit-il quand le gouvernement Juppé, en 1986, veut privatiser le projet. Quarante ans plus tard, la postérité a peut-être invisibilisé l’architecte. Son œuvre – et ce qu’elle symbolise –, elle, n’a pas bougé.

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Sortie : Prochainement
Réalisateur : Stéphane Demoustier
Avec : Claes Bang, Swann Arlaud, Xavier Dolan, Sidse Babett Knudsen
Pays : France
Durée : 1h45
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