Cannes 2025 : ELEANOR THE GREAT
Eleanor, nonagénaire, vit en colocation, en Floride, avec Bessie, sa meilleure amie. C’est l’amour fou entre ces deux-là, depuis qu’elles se sont rencontrées toute jeunes : ensemble, elles se promènent, regardent la mer, mènent la vie dure aux employés moligasses de supermarchés, manient l’humour noir. Elles sont vieilles, coquines, heureuses. Mais quand Bessie décède, Eleanor, désormais seule, n’a plus d’autre choix que d’aller vivre son deuil chez sa fille à Manhattan. Une fille inquiète, mère célibataire stressée, qui inscrit, ni une ni deux, sa mère au Centre culturel juif du quartier pour l’occuper. Eleanor intègre par hasard le groupe de parole des survivants de l’Holocauste. Un peu coincée, elle usurpe ce statut et se réapproprie les souvenirs et le traumatisme de Bessie, qui était, elle, rescapée des camps. Problème : Nina, apprentie reporter et fille d’un grand journaliste émue par son histoire, veut désormais la faire témoigner « on the record ». Ce petit mensonge dégénère, d’autant qu’Eleanor l’entretient pour se rapprocher de la jeune femme, comme une petite fille qu’elle n’a jamais eue. Pour son premier film, Scarlett Johansson vise l’œcuménisme, avec un ton très « prix du public au Festival de Toronto » et pas vraiment d’audace formelle, ni à l’intérieur de l’image, ni à la mise en scène et ce, malgré la présence à la direction de la photographie d’Hélène Louvart (collaboratrice notamment d’Alice Rohrwacher ou de Karim Aïnouz). Mais son héroïne gironde et rigolote qui franchit la ligne rouge et trahit la Mémoire emmène le scénario vers une morale et des émotions beaucoup plus retorses. D’autant qu’elle trahit aussi la confiance de Nina, jeune femme engloutie par un deuil, celui de sa mère, dont elle ne parvient pas à se défaire. Un personnage qui, grâce à l’interprétation délicate et spontanée d’Erin Kellyman, remporte tout de suite l’adhésion du public. La démarche d’Eleanor révèle une quête désespérée de sympathie, bien sûr. Mais le bon visage de June Squibb n’y change rien : comme on a récemment sévèrement jugé les supercheries d’une fausse victime de l’attentat du Bataclan (la série UNE AMIE DÉVOUÉE) ou d’un faux survivant d’Auschwitz (le film MARCO, L’ÉNIGME D’UNE VIE), on montre du doigt Eleanor qui ne voit pas l’hostilité de ses actes. Toutefois, quand se dévoilent certaines blessures derrière cette « usurpation » d’identité, cette comédie joviale révèle son vrai sujet : le tabou du deuil. À 90 ans ou à 20, chacun s’accommode de sa peine, non sans en causer autour. Un drôle de feel good movie.
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Réalisateur : Scarlett Johansson
Avec : June Squibb, Erin Kellyman, Chiwetel Ejiofor, Jessica Hecht
Pays : États-Unis
Durée : 1h38