Cannes 2025 : DOSSIER 137

17/05/2025 - Par Emmanuelle Spadacenta
Après LA NUIT DU 12, Dominik Moll reprend la démonstration à zéro pour parler de l’instinct de mort qui pourrit les hommes et empêche de faire société. D’abord rigoureux et impartial, le film est gagné par une colère dévastatrice.

Qui de mieux pour évoquer le rapport conflictuel de la France avec sa police qu’un personnage d’enquêtrice à l’IGPN : citoyenne comme les autres, Stéphanie est aussi flic. D’autant plus flic que c’est une ancienne des stups. Elle connaît le terrain et la loi, elle est le garde-fou d’une profession en armes, difficile, et qui compte en ses rangs des récalcitrants. Elle sait les manques de moyens, les bavures. Fin 2018, en France, quand les manifestations des Gilets Jaunes sont devenues plus radicales et ont fini par être réprimées de façon beaucoup plus violente, des plaintes ont été déposées contre les forces de l’ordre. Un jeune homme, venu en famille sur les Champs-Élysées pour se faire entendre, a fini avec le crâne défoncé par un tir de LBD. Sa mère a donc porté plainte car son fils n’était pas un casseur, il ne représentait aucune menace pour les CRS. Stéphanie et ses collègues finissent par identifier le groupe d’hommes qui lui ont tiré dessus. Reste à savoir, avant de comprendre leur geste, à quelle brigade ils appartenaient. Parce que c’est ce qu’on apprend au fil d’un scénario méthodique, d’abord très factuel, enchaînant de manière quasi ingrate les auditions : la politique de maintien de l’ordre du gouvernement Macron, c’est le Far West. Il y a d’ailleurs autant de brigades qu’il y a d’acronymes possibles avec les lettres de l’alphabet. Le ministère de l’intérieur leur disait qu’il fallait « sauver la République », « participer à l’effort de guerre », dans une rhétorique que Dominik Moll se gardera bien de juger mais qu’il préfère laisser à la discrétion du spectateur. Pas besoin d’en rajouter : sa caméra quasi documentaire relate, rappelle, reconstitue. Il n’a qu’à égrainer les chefs des brigades – que des hommes, nourris d’un fort esprit de corps – pour illustrer ce qu’il finit par faire dire à la mère de Stéphanie à l’encontre de son mari, un peu comme une boutade : « T’es violent Gérard, c’est tout. » Il y a quelque chose au fond des hommes, et notamment des hommes blancs, qui peut à tout moment s’exprimer : l’envie de détruire. Si dans le polar Dominik Moll reste impartial, c’est dans le film social qu’il met du sien. Ce qui l’intéresse, c’est d’interroger les images – d’abord parce que c’est le job de son personnage, mais aussi parce que ce que regardent les Français en disent long sur eux. Il y a ceux qui passent leur temps devant la télé pour se nourrir de la violence du monde et ceux qui regardent des vidéos de chat. Et ce qui pourrait être d’un simplisme crasse révèle le schisme actuel entre ceux qui participent au marasme – et par ricochet justifient une police toute puissante – et ceux qui ne le peuvent plus par instinct de survie. Mais la problématique se corse quand les images de violence aident à la dénoncer : la question « Pourquoi vous filmez ? », posée plusieurs fois, est une obsession du film. Et Dominik Moll de responsabiliser la société face à toutes ces images affreuses qui pullulent : nourrir la bête ou rendre justice. De ce « film de travail », où Léa Drucker remplit parfaitement son rôle d’actrice sociale, émanent de grandes questions, quasi civilisationnelles, notamment sur l’impunité dont bénéficient les forces de l’ordre ou les biais racistes de la justice. Des points chauds qui vont bien au-delà du débat qui semble, au début, s’emparer du film : oui, la police, on l’applaudissait pendant les attentats, alors pourquoi tout le monde la déteste aujourd’hui ? On est bien content de la trouver quand on a besoin d’elle. Le film ploie de temps à autres sous ses besoins de neutralité et doit donc dessiner les questions françaises à gros traits. Mais ce n’est que le temps qu’il assume, non pas d’être un film anti-flic, jamais, mais d’être un manifeste contre le fascisme rampant qui gagne ses rangs.

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Sortie : 19.11.25
Réalisateur : Dominik Moll
Avec : Léa Drucker, Jonathan Turnbull, Solan Machado-Graner, Stanislas Merhar
Pays : France
Durée : 1h55
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