Cannes 2025 : DIE, MY LOVE

18/05/2025 - Par Aurélien Allin
Lynne Ramsay tourne trop peu souvent pour accepter qu’elle puisse décevoir. Et pourtant : DIE, MY LOVE se perd dans ses excès sensoriels.

Dans son précédent film, A BEAUTIFUL DAY, Lyne Ramsay déconstruisait le héros américain avec un pur acte de mise en scène – couronné à Cannes par… un prix du scénario, mais passons. Pour nous raconter l’histoire de Joe, vétéran rongé par le souvenir d’une enfance maltraitée et par le PTSD de ce qu’il a vécu au front au Moyen-Orient, la cinéaste écossaise avait bâti un film-expérience, une cathédrale fragmentaire d’images et de sons, un collage expérimental extrêmement sensoriel et viscéral qui propulsait le spectateur dans la tête et le corps du personnage. Huit ans plus tard, le souvenir indélébile de ce grand-film se voit convoqué dans DIE, MY LOVE, sixième long de Ramsay, dans lequel elle embrasse à nouveau cette intention de cinéma sensoriel. Grace (Jennifer Lawrence) et Jackson (Robert Pattinson), fous amoureux, s’installent dans une vieille maison décrépite à la campagne. Quelques mois plus tard naît un bébé et Grace de sombrer dans une profonde dépression qui la mène à la psychose. Dans un ratio 1.33 – décidément le format le plus prisé de ce Cannes 2025 –, Ramsay emprisonne immédiatement personnages et spectateurs pour une longue exploration de l’état mental de Grace, qui passe, à l’écran, par une sur saturation constante et totale. La photographie exacerbe la luminance, le contraste, les couleurs, les aberrations et va frayer vers des nuits américaines très artificielles. Le sound design accentue chaque petit bruit – ça frotte, ça couine, ça gratte, ça râpe, un chien aboie des minutes entières, un bébé y répond en hurlant plus fort encore et des mouches virevoltent en Dolby sans discontinuer. Plus une multitude de chansons – punk le plus souvent, au minimum du rock à guitare – qui s’invitent dans des needle drops soudains, quasi jumpscares musicaux. Et Jennifer Lawrence d’accompagner le mouvement en faisant la tigresse à quatre pattes, nue, dans les champs, en arrosant un papier encré de lait maternel, en salopant le tapis de bain avec tout le shampoing à sa disposition et en se jetant dans tout ce qui passe – baie vitrée, miroir, mur –, espérant sans doute tutoyer, en vain, la prestation insensée d’Isabelle Adjani dans POSSESSION ou tout simplement, celle, vibrante, qu’elle avait elle-même délivrée dans MOTHER !. Véritable attaque sur les sens du spectateur, bulldozer d’agressivité substituant le choc au récit, DIE, MY LOVE ne pèche pas tant par ces excès que par leur stérilité. Quand A BEAUTIFUL DAY laissait énormément de place au spectateur pour remplir les blancs et lui permettait ainsi d’accéder à une empathie indéfectible pour Joe, DIE MY LOVE ne réussit jamais à connecter le spectateur à Grace, à ses souffrances et émotions. Car la forme, aussi brillamment pensée et exécutée – Ramsay reste une très grande metteuse en scène –, se fait ici tellement envahissante qu’elle ne peut créer au final qu’une distance impénétrable.

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Sortie : Prochainement
Réalisateur : Lynne Ramsay
Avec : Jennifer Lawrence, Robert Pattinson, Sissy Spacek, Lakeith Stanfield
Pays : Royaume-Uni
Durée : 2h
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