Cannes 2025 : ALPHA

20/05/2025 - Par Aurélien Allin
On ne pourra pas reprocher à Julia Ducournau de ne pas aller au bout de ses idées. Dommage que le résultat soit si aliénant pour le spectateur.

Alpha, 13 ans, vit avec sa mère médecin qui, tous les jours à l’hôpital, combat un mystérieux virus – pendant fictionnel à peine dissimulé du Sida. Lorsque la rumeur court que l’adolescente l’a peut-être contracté, ses camarades l’ostracisent. À la maison, elle doit gérer le retour de son oncle Amin, toxicomane en sevrage…  Un procès en prétention contre ALPHA et Julia Ducournau serait sans doute trop facile – après tout, ce que l’on nomme communément la prétention en art n’est-elle pas qu’une ambition dévorante, une singularité exacerbée, une envie de transcender la forme classique ? Le principal problème du troisième long-métrage de la Française n’est donc pas tant sa possible prétention que son incapacité à embarquer le spectateur dans son univers, à lui faire accepter ses élans excessifs, mystérieux et étranges d’idiosyncrasie comme une évidence naturelle. Avec ALPHA, Julia Ducournau pèche par hermétisme et abus de circonvolutions. Peut-être par manque de confiance dans son matériau et dans son spectateur, la cinéaste enrobe son récit d’un épais voile de mystère dès les premières secondes de son film, comme si cette nébulosité donnait davantage d’importance ou de poids à ce qu’elle raconte. Malheureusement, ce parti pris engendre de facto chez le spectateur une quête de réponses qui n’est jamais récompensée. Non pas qu’ALPHA n’explique rien : il le fait simplement toujours trop tard, quand l’agacement a triomphé, quand l’intérêt a déjà failli. Lançant sur l’écran une multitude de pistes avortées (et de personnages sacrifiés), d’indices et détails qui dupent sur la nature des images que l’on voit et de l’univers qu’on nous présente, Ducournau, au lieu de happer le spectateur, ne cesse de l’aliéner. À chaque nouvelle scène, de nouvelles pistes, des éléments s’ajoutent mais rien, jamais, ne fait réellement sens. Même lorsque, dans le dernier acte, les réponses s’enchaînent. Là, le symbolisme s’impose alors comme maître absolu, comme unique justification d’images présentées sans le moindre souci de cohésion ou de cohérence. Sans même la générosité d’offrir quelques clés possibles de décodage. Alors il y a bien quelques images très fortes – une scène de biopsie, la plus puissante du film, parfaite réification de l’impact d’une maladie sur un corps et de la douleur qui l’accompagne. Il y a, surtout, la prestation obsédée d’un Tahar Rahim dangereusement amaigri qui marmonne, hurle, pleure, promène sa carcasse abîmée et, à chaque apparition, garde le spectateur concerné, investi – il est le seul vecteur d’empathie. Mais reste toujours ce sentiment d’être mis à distance par un film qui, la plupart du temps, a l’air davantage intéressé à l’idée de nous crier dessus qu’à nous inviter à le suivre – à ce titre, le sound design, la musique originale et la bande-son se révèlent assourdissants, poussés vers les frontières du supportable par un mixage jusqu’au-boutiste contre-productif.

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Sortie : 20.08.25
Réalisateur : Julia Ducournau
Avec : Mélissa Boros, Tahar Rahim, Golshifteh Farahani, Finnegan Oldfield
Pays : France
Durée : 2h08
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