Cannes 2024 : THE SHAMELESS
S’il fallait un mot pour qualifier le film de Konstantin Bojanov, ce serait sûrement atypique. En effet, THE SHAMELESS est une coproduction principalement suisse qui se déroule en Inde, réalisée par un Bulgare. Un projet difficile à monter – 8 ans pour être financé – qui partait à l’origine d’une envie de documentaire autour des Devadâsî, des femmes vouées au culte d’une déesse, majoritairement condamnées à une vie de prostitution, et ce, dès un très jeune âge. Si la pratique est interdite dans les faits en Inde depuis les années 1980, elle a tendance en réalité à persister dans certaines provinces. Du documentaire, le réalisateur est passé à la fiction en racontant l’histoire de Nadira, obligée de fuir Delhi après avoir assassiné un policier abusif. Elle se réfugie alors sous le nom de Renuka dans une communauté de Devadâsî dans le sud de l’Inde où elle tombe amoureuse de Devîka, une jeune femme de 17 ans, fragile et terrorisée par son avenir tout tracé de prostituée. Avec une photographie sublime qui joue des lumières aux couleurs vives et du clair-obscur, THE SHAMELESS est avant tout la rencontre de deux âmes solitaires, une histoire d’amour entre deux femmes brisées, l’une par la vie qu’elle a été obligée de mener, l’autre par celle qui l’attend. Sans grande subtilité, mais avec une efficacité certaine et une rage assez salvatrice, le film tape toutes les formes d’oppression qui interfèrent avec la vie des femmes, qu’elles soient religieuses, patriarcale, masculine ou traditionaliste. Il offre aussi un portrait totalement inattendu de femme dans la société indienne à travers le personnage de Nadira/Renuka. Anguleuse, au regard noir et au tempérament explosif, elle s’éloigne du stéréotype de la femme soumise et interdite pour davantage ressembler au modèle qui l’a inspiré, la tueuse en série Aileen Wuornos, qui était déjà au cœur du film MONSTER, incarnée alors par Charlize Theron. Entre le film noir et le thriller, THE SHAMELESS refuse le réalisme et le naturalisme, lui préférant l’aspect du conte, sombre et plus métaphorique. Il s’éloigne ainsi d’une critique trop frontale de l’Inde pour parler plus globalement des violences faites aux femmes. Mais il n’en reste pas moins particulièrement pessimiste, voire fataliste. Si Konstantin Bojanov a la délicatesse de mettre toutes les violences physiques hors-champs, les violences en général – qu’elles soient morales, systémiques ou autres – sont, elles, constamment présentes. Le film ne laisse à aucun moment l’opportunité à ses personnages féminins de respirer, de sortir de leur condition de victimes, leur imposant en permanence la tragédie de leur existence. Rares sont les moments de lumière dans cet espace créé par le cinéaste.
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Réalisateur : Konstantin Bojanov
Avec : Anuksha Pushparaj Shetty, Rohit Kokate, Tanmay Dhanania
Pays : Inde / Bulgarie
Durée : 1h55