Cannes 2024 : RENDEZ-VOUS AVEC POL POT
Entre le sacerdoce et le devoir d’une mémoire encore à vif, Rithy Panh n’a de cesse, de film en film, de travailler la matière Cambodge, comme pourrait le faire un Patricio Guzman avec le Chili. Deux continents, deux histoires, deux exilés, le même traumatisme : celui d’un génocide tu, caché, découvert au grand jour à la destitution du tyran. Dans RENDEZ-VOUS AVEC POL POT, le réalisateur s’inspire du livre d’Elizabeth Becker, « Les Larmes du Cambodge » pour en raconter un épisode précis. En 1978, elle faisait partie du seul groupe d’Occidentaux admis au Cambodge, renommé alors Kampuchéa démocratique, depuis la prise de pouvoir de Pol Pot en 1975. Ils étaient trois, deux journalistes et un intellectuel marxiste écossais, amenés à visiter une version « village Potemkine » de ce nouveau Cambodge soi-disant idyllique et juste. Rithy Panh reprend cette trame pour la franciser et fait, notamment, d’Elizabeth Becker, Lise Delbo et de Malcolm Caldwell, Alain Cariou, une variante à peine déguisée du philosophe Alain Badiou, fervent admirateur des Khmers Rouges. Baladés, entre accueil chaleureux et menace permanente, par des représentants du gouvernement en place pour faire taire les rumeurs (pourtant bien vraies) de massacre et de tortures, ils tentent de se frayer un chemin dans cette exploration de la notion de vérité. Film hybride s’il en est, RENDEZ-VOUS AVEC POL POT apparaît comme un condensé du travail de Rithy Panh mêlant fiction, images documentaires et animation de figurines en terre cuite pour mettre à l’image ce qui n’a pu être enregistré que par la mémoire des survivants de l’époque. Si l’ensemble a des difficultés à trouver son rythme, parfois trop statique, parfois théâtral, et la fluidité pour passer d’une matière filmique à une autre, il n’en reste pas moins un puissant long-métrage à la charge politique lourde. Le film montre ainsi l’impuissance et le cloisonnement de la parole journalistique internationale, mais surtout tire à boulets rouges sur la complaisance et l’aveuglement de certains intellectuels, en particulier français, face au régime totalitaire et ultra-violent des Khmers Rouges. Pour cela, il est aidé par un Grégoire Colin grandiose, qui se « magimélise » de film en film, dont le Alain Cariou semble être un cousin 1970’s du De Roller d’Albert Serra dans PACIFICTION. Et qui porte sur son visage et son corps, toute la honte, la désillusion et l’horreur d’un monde occidental qui n’a pas su ou pas voulu voir ce qu’il se passait dans ce bout d’Asie, victime collatérale de la guerre du Vietnam.
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Réalisateur : Rithy Panh
Avec : Irène Jacob, Grégoire Colin, Cyril Gueï
Pays : France / Cambodge
Durée : 1h30