Cannes 2024 : LE DEUXIÈME ACTE
Quentin Dupieux semble de plus en plus fabriquer son cinéma comme un parc d’attractions. Chaque film serait une expérience pour laquelle on prend son ticket sans vraiment savoir ce qui nous attend, avec l’excitation qu’à l’intérieur, les sensations seront plus fortes. Ce nouvel opus, potentiel dernier volet d’un triptyque sur les acteurs entamé avec YANNICK et DAAAAAALI !, réserve pas mal de surprises, de virages incongrus, d’effets déroutants, d’abîmes de malaise et de mélancolie. Un film en forme de palais des miroirs où spectateurs et acteurs se regardent de travers et cherchent ensemble la sortie à tâtons. Jouant avec malice d’abord de ce jeu de reflets trompeurs où film et récit se dévisagent, où personnages et comédiens se confondent, la petite mécanique ironique amusante prend très vite des accents de vérité troublante, opte pour des situations cruelles inattendues et une tonalité sombre qui glacent le spectateur. Ce qui pourrait n’être qu’une petite comédie méta lourdingue sur l’égo des acteurs façon Bertrand Blier mute très vite en un film étrange et inquiet, où le public ne sait plus ce qu’il regarde ni même s’il a vraiment le droit de le regarder. Attrapant comme toujours l’air du temps, l’air de rien, Dupieux met en scène dans ce DEUXIÈME ACTE un cinéma français de synthèse, sûr de lui et pourtant exsangue, fier et pourtant fasciné par Hollywood, terrifié par ses propres démons mais prêt à tout pour les faire taire. Autant dire qu’on attrape au vol chaque tranchant de ce jeu de massacre dont l’on pourrait bien, évidemment, être les dernières victimes. Au centre de ce miroir déformant, Léa Seydoux, Louis Garrel, Raphaël Quenard et Vincent Lindon donnent tout. On ne cesse de se demander comment Dupieux les a convaincus de dire ou de jouer ça, on s’interroge sur leur possible candeur ou leur cynisme fou. C’est toute l’ironie, passionnante d’ailleurs, du dispositif d’inclure le spectateur et ses certitudes dans ce grand dédale entre le vrai et le faux. Mais le réel propos du film, c’est d’avoir ce casting-là, incroyable, et de réussir le tour de passe-passe génial de faire en sorte que le spectateur ne retienne à la fin que le nom de Manuel Guillot, acteur inconnu qui crève l’écran. Tandis qu’il filme l’inexorable mécanisation de l’art, Dupieux nous fait sentir que l’inattendu, l’improbable, le pas-logique sont peut-être le bug qui peut nous sauver de la machine. À moins qu’on se laisse avaler. Comme LE MÉPRIS de Godard (que Dupieux semble citer constamment dans ses longs travelling) racontait la mort d’une certaine idée du cinéma, LE DEUXIÈME ACTE, film lui aussi plein d’effets et de stars, raconte la lassitude d’un art mourant. Faire des films, raconter des histoires. Encore faut-il vouloir y croire.
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Réalisateur : Quentin Dupieux
Avec : Vincent Lindon, Léa Seydoux, Louis Garrel
Pays : France
Durée : 1h20