Cannes 2024 : L’AMOUR OUF

24/05/2024 - Par Aurélien Allin
Une épopée romantico-criminelle de près de 3h sans grand recul qui peine à dompter son ambition et ses influences.

« Sans maîtrise, la puissance n’est rien », clamait une pub des années 90. Si cet adage s’applique parfaitement à L’AMOUR OUF, son réalisateur Gilles Lellouche semble étrangement le savoir lorsqu’il fait dire à un de ses personnages : « La beauté, ça ne sert à rien ». Pourtant le cinéaste, qui avait fait preuve de davantage de discernement sur son GRAND BAIN, ne s’applique jamais à lui-même les aphorismes un peu creux qui inondent ses dialogues. Clotaire et Jacqueline se rencontrent dans les années 80. Ils ont 15 ans, elle est bonne élève, lui est un décrocheur. Ils tombent amoureux. Mais Clotaire va sombrer lorsqu’il est recruté par la bande d’un bandit local… L’ambition de Lellouche sur L’AMOUR OUF est louable : un récit ample sur deux décennies, de l’action, de la romance et beaucoup de cinéma – jusqu’à inclure deux numéros dansés. L’exécution, elle… Au contraire d’autres cinéastes comme Quentin Tarantino sur KILL BILL ou plus récemment Coralie Fargeat sur THE SUBSTANCE, Gilles Lellouche ne parvient jamais à plier à sa personnalité les influences protéiformes et très visibles qui constituent l’ADN de son film – pêle-mêle DIABOLO MENTHE de Diane Kurys, Danny Boyle, LES GUERRIERS DE LA NUIT, Martin Scorsese (dont le clip de BAD), ROMEO + JULIET de Baz Luhrmann, HARDCORE HENRY, etc. Jusque dans sa reconstitution de catalogue des années 80, L’AMOUR OUF se résume à un artifice stérile qui, au lieu de réfléchir aux images qui en sont le moteur pour en créer de nouvelles, n’empile que du cinéma sur du cinéma, incapable de rendre organique et plausible son univers. Ses personnages, ainsi, ne sont que des monolithes sans âme qui se comportent et parlent comme dans un film, mais de la plus infructueuse des façons : ils n’existent que comme pantins de l’ambitieuse entreprise de Lellouche. Sans doute parce que ce qui dirige l’écriture de L’AMOUR OUF apparaît désespérément adolescent, comme si le cinéaste scénarisait et mettait en scène un film qu’il aurait rêvé à l’âge de 16 ans, sans jamais remettre en question ce regard forcément simpliste, gorgé d’un romantisme pré-pubère où la fille est coincée entre son gentil papa et son voyou d’amoureux, où le mec qui a un boulot de bureau un peu terne est forcément un connard ennuyeux, où la violence du héros s’explique et se pardonne parce que c’est sans doute ça, la passion amoureuse. On passe sur le propos sur la lutte des classes, bien trop embryonnaire et rudimentaire pour être commenté. Parce qu’il manque désespérément de recul sur son outrance – au contraire de cinéastes comme Boyle ou Luhrmann –, L’AMOUR OUF transforme sa générosité en trop-plein et son ambition en démonstration performative, et mène son spectateur vers l’épuisement au mieux, l’agacement au pire.

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Sortie : 16/10/24
Réalisateur : Gilles Lellouche
Avec : François Civil, Adèle Exarchopoulos, Mallory Wanecque, Malik Frikah
Pays : France
Durée : 2h46
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