Cannes 2024 : EEPHUS
Dans une petite ville du fin-fond des États-Unis, des dudes, joueurs de baseball du dimanche, se réunissent pour un dernier match avant que la ville ne remplace le terrain par un établissement scolaire. Peu émus par les ambitions culturelles et éducatives de la ville (« tout ça pour des cours d’art à la con »), ils râlent sur ce prochain temps révolu. C’est que ces matchs, c’est du sérieux. Il y a des codes à respecter, c’est un sport à hot-dogs, on nous dit, pas à pizzas. Un petit vieux consigne soigneusement le score comme si le sort du monde en dépendait. Ils sont pères de famille, retraités, chômeurs, étudiants en passe de devenir pro et ce qui les réunit, c’est ce temps qui n’appartient qu’à eux, une fois par semaine. Il n’y a pas beaucoup d’amateurs dans les gradins mais du bord du terrain, une petite fille commente : “Why do they care so much ? Don’t they have more important things to do?”. Dans cette Amérique paumée entre le statu quo et le progrès, dont la moitié pourrait rallier Trump sans conviction autre que de voter pour un vrai bonhomme, on s’accroche à son petit bout de liberté comme on défendrait le deuxième amendement. Ces mecs ne sont même pas copains au-delà de s’envoyer des balles et de taper dedans. Ce portrait-là, d’une masculinité qui se croit grand-remplacée par l’air du temps, est d’une justesse d’orfèvre, car il n’est pas peint à gros trait. Au contraire : d’abord, on est séduits par la bonhomie de ces types, puis intrigués par la simplicité de certains de leurs modes de pensée, interpelés par ce qu’ils défendent de rétrograde et de traditionnel. Enfin, on les prend d’affection comme on les prend en grippe. Ils sont ringards mais ils sont drôles. Les meilleures répliques de ce scénario écrit avec une grande maîtrise du timing comique sont au second plan et se font à peine entendre. Elles révèlent des tempéraments vaguement pathétiques, de gentils losers, de mecs qui ont de l’esprit sans en faire grand-chose. Et, quand vient la nuit et qu’ils continuent à jouer dans la pénombre en grommelant, on ne peut qu’admirer leur entêtement tout en souhaitant qu’ils débarrassent le plancher. Éloge de la fin d’une époque, ode sincère à la mort lente du patriarcat, ce EEPHUS regarde les hommes tomber, se vautrer dans le sable et repartir bredouille avec un sens de la comédie humaine admirable.
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Réalisateur : Carson Lund
Avec : Keith William Richards, Cliff Blake, Frederik Wiseman
Pays : États-Unis
Durée : 1h38