Cannes 2024 : CITY OF DARKNESS

17/05/2024 - Par Emmanuelle Spadacenta
Polar urbain doublé d’un film d’arts martiaux fantastique, CITY OF DARKNESS a de la générosité à revendre.

Fin des années 80, dans la citadelle de Kowloon à Hong Kong, les gangs font la loi. C’est au cœur de celle-ci que se réfugie Chan Lok-kwun, un jeune immigré recherché par les Triades à qui il a piqué un peu de fric. Dans Kowloon, Cyclone, le boss local, lui donne une chance. Il paie sa dette, lui offre le gîte, le couvert et l’opportunité d’intégrer son entourage, comme Shin et VHS, des petites frappes qui, d’abord, se méfient de lui, ou Douzième Maître, le disciple de Tiger, l’un des big boss de Hong Kong, toujours fourré dans l’enclave. Tous les quatre finiront par former une fratrie. Il y a d’abord presque quelque chose de Dickens dans CITY OF DARKNESS, dévoré ensuite par un sentimentalisme fatal – l’histoire finit par être parfaitement cul-cul – et une obsession du cool. Des légendes HK Louis Koo et Sammo Hung aux moins connus Raymond Lam et Cheung Man Kit, ça se fracasse avec une aisance, une élégance et une puissance à faire pâlir les actioners les plus révérés. Si c’est le ton très noir du polar urbain qui domine, CITY OF DARKNESS est un pur film d’arts martiaux hongkongais avec cascades aux filins spectaculaires et un brin de surnaturel de rigueur. Potards à 11, les scènes d’action défient l’espace et le temps et renouent avec la générosité des meilleurs contes moraux et fantastiques asiatiques. De quoi en prendre plein les yeux, avec l’envie secrète d’applaudir à chaque scène d’action. À peine pourrait-on reprocher la longueur excessive de la séquence finale – un problème de riches. Tout cela reste de la grosse bagarre sur très grand écran.

Sur les traces de son récent LIMBO, polar en noir et blanc dans un dédale de néons et de détritus, CITY OF DARKNESS trouve sa raison d’être dans son décor, citadelle reconstituée, à l’obscurité exacerbée, entrelac sur plusieurs strates de câbles, de tiges en acier et de béton défoncé. Étriquée et en voie de désintégration, Kowloon dicte la mise en scène, très verticale – les bâtiments si hauts que la lumière du jour ne pénètre pas – et très horizontale – les passages sont étroits et souvent bouchés. Tout peut à tout moment débouler du ciel ou de derrière un mur, créant une urgence de l’action et une tension permanente. Surtout, grâce à un travail sensationnel des opérateurs caméras, l’intensité et la vitesse dominent largement l’énergie du film. Et pourtant, en creux de cette débauche de force et de violence, la future rétrocession de Hong Kong à la Chine jette un voile d’incertitude sur le destin de Kowloon : qui voudra de cette honteuse enclave qui ne respecte pas les lois, qui vit selon ses propres règles ? Cette crainte de l’effacement, profondément mélancolique dans le film, c’est aussi celle qui a saisi le cinéma hongkongais – cinéma qui a vu, d’aucuns diraient, son identité changer et sa richesse faner depuis 1997. Pendant le générique de fin de CITY OF DARKNESS, petites scènes quotidiennes en citadelle de Kwoloon, quelque chose se brise dans le grand divertissement de Soi Cheang et tente de faire le deuil d’une époque révolue.  

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Sortie : 04.09.24
Réalisateur : Soi Cheang
Avec : Louis Koo, Sammo Hung, Philip Ng
Pays : Hong Kong
Durée : 2h05
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