Cannes 2025 : NOUVELLE VAGUE

18/05/2025 - Par Emmanuelle Spadacenta
Richard Linklater raconte le tournage d’À BOUT DE SOUFFLE dans un petit film hilarant, célébrant l’intégrité artistique et le génie français.

Après que L’INCONNU DE LA GRANDE ARCHE a haché menu la bureaucratie et la technocratie typiquement françaises qui entravent toute vista artistique, NOUVELLE VAGUE, lui, célèbre la désinvolture qui a changé la face du cinéma français – et mondial –dans les années 50/60. Elle porte un nom : Jean-Luc Godard, autoproclamé « dernier des Cahiers du Cinéma à réaliser un film », impatient gamin cinéphile qui voulait en être. Sur scénario de François Truffaut, il va relater un petit fait divers, avec pour protagoniste Michel Poiccard, tueur de flic qui en pince pour une belle Américaine. Jean-Paul Belmondo, Jean Seberg… Pierre Rissient en assistant, Raoul Coutard à la photo, Claude Chabrol en conseiller artistique, André S. Labarthe, Jacques Rivette, Jean-Pierre Melville en caméos. Si en France, ce casting all stars fait partie de l’inconscient collectif, comme un acquis culturel, si la nouvelle génération a même tendance à rejeter ce mouvement si encombrant pour revendiquer des influences plus américaines et plus modernes, n’importe quel étranger se pâme encore devant cette période bénie. Richard Linklater – dont une partie de la filmographie s’affiche sous influence de la Nouvelle Vague, de SLACKER à la trilogie BEFORE – a donc opéré un retour en arrière vers cette révolution culturelle sans s’intéresser à ses effets sur le cinéma, mais sous la forme d’un making of rêvé. Un film d’une beauté formelle ahurissante – un noir et blanc somptueux, des reconstitutions de Paris ou des décors d’À BOUT DE SOUFFLE bluffants –, un re-faisage des plans emblématiques, comme pour conjurer le temps qui passe et l’effacement d’un chef-d’œuvre sexagénaire. Chez Linklater, la répétition – ici, à travers le mimétisme – a toujours été la parade à la fuite du temps (ce BEFORE SUNSET remake de BEFORE SUNRISE pour parer au gâchis) si bien que NOUVELLE VAGUE fige la démarche d’À BOUT DE SOUFFLE pour la postérité (on remarque la place importante du photographe de plateau dans le récit, comme le témoin auquel Linklater s’identifie sans doute le plus) et confronte tout le cinéma actuel à ce qu’il n’est plus : tournages sauvages en plein Paris, filmage des monuments sans autorisation, la pellicule comme pur consommable, une actrice américaine pleine d’audace et des journées de tournage de 2h, interrompues par une subite panne d’inspiration du réalisateur ou une furieuse envie de jouer au flipper – Jean-Luc Godard grand personnage « linklaterien » puisque maître absolu du temps procrastiné, récupéré, et manipulé. Si bien que NOUVELLE VAGUE raconte finalement tout autant ce que le film de Godard a apporté au cinéma que toutes les leçons que le cinéma n’a pas tirées : la liberté totale et une confiance solide dans l’intelligence du public. Il y a là le récit d’une révolution, et un constat d’échec. Film de bande dont se détachent Guillaume Marbeck dans un grand numéro de Godard ressuscité et Matthieu Penchinat dans une incarnation fantastique de Raoul Coutard, le chef opérateur qui a discrètement et absolument tout changé, NOUVELLE VAGUE ne repose sur aucune vraie dramaturgie, ni plus ni moins qu’EVERYBODY WANTS SOME ! ou APOLLO 10 1/2. S’il mime un style qui n’est pas le sien, s’il s’attache à retrouver l’identité d’un autre, le film reste profondément ancré dans le cinéma de Richard Linklater, comme une nouvelle célébration du « être ensemble », pour faire ou ne rien faire mais surtout pour se forger les souvenirs de demain. Pas révolutionnaire, certes, mais très poétique.

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Sortie : 08.10.25
Réalisateur : Richard Linklater
Avec : Guillaume Marbeck, Zoey Deutch, Aubry Dullin, Matthieu Penchinat
Pays : France
Durée : 1h45
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