Cannes 2025 : THE PLAGUE
Les formes excessives ont parfois la vie dure auprès des critiques, comme si le cinéma devait s’imposer une obligation de sobriété. La forme, aussi visible soit-elle, reste un formidable outil d’accélération de l’empathie du spectateur. Sur ce point, Charlie Polinger se place dans la lignée du Darren Aronofsky de PI ou REQUIEM FOR A DREAM. Dans son premier long THE PLAGUE, inspiré de son court SAUNA, la forme vient exprimer deux sentiments centraux du film : la place envahissante que prennent les boys clubs et l’écrasement engendré par l’ostracisation et le harcèlement. Ben a 13 ans. Parce que sa mère a récemment quitté son père, ils ont quitté Boston, dont il a gardé un fort accent, bientôt source de railleries. Pour l’aider à s’acclimater, il participe à un stage de water-polo. Un sport collectif « où on doit travailler ensemble comme une famille ». Cette famille, c’est un groupe de garçons qui ne pensent qu’au sexe alors qu’ils sont imberbes et pour qui la vanne et la taquinerie sont une seconde nature. Jake, leader au sourire ironique perpétuel, lui apprend que Eli, garçon bizarre, a « la peste »… La première malice de THE PLAGUE est de situer son récit en 2003, une poignée d’années avant l’arrivée des smartphones et des réseaux sociaux : ce qui est en jeu ici n’a rien de générationnel ou de circonstanciel mais au contraire, décrit des mécanismes intemporels, universels, qui souvent sous-tendent les dynamiques de groupe masculins. Implacable dans son récit, THE PLAGUE décortique avec minutie l’évolution de la place de Ben, garçon timide qui n’a d’autre choix que d’essayer de s’intégrer mais bien que parfois séduit n’est jamais vraiment dupe. Cette « Peste » n’existe pas, il le sait. Pourtant, cet été tourne à l’enfer, entre humiliations gratuites sous prétexte de l’humour, obligation de se conformer aux codes d’un âge, expression d’un mal être indicible qui dérive vers le body horror. Pour exprimer les émotions contraires que traverse Ben, Charlie Polinger use de tous les outils pour sculpter une ambiance pesante, étrange. Qu’il filme la surface de l’eau ou les plafonds, Polinger établit physiquement la chape de plomb dont il filme aussi les effets, plus organiques, sur Ben et Eli – boutons, plaques, saignements – tandis qu’un score oscillant entre voix scandées a cappella et cordes stridentes menaçantes vient constamment remuer le couteau dans la plaie. Vision dérangeante et malaisante, THE PLAGUE pousse Ben dans ses retranchements avec un but en ligne de mire : essayer de se libérer des chaînes du groupe. « Ça ira mieux en grandissant », assure le prof de water-polo, bienveillant mais guère sûr de lui.
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Réalisateur : Charlie Polinger
Avec : Everett Blunck, Kayo Martin, Kenny Rasmussen, Joel Edgerton
Pays : États-Unis
Durée : 1h35