Cannes 2025 : LEFT-HANDED-GIRL
Taïwanaise ayant émigré aux États-Unis pour ses études, Shih-Ching Tsou rencontre Sean Baker à l’école ; colocataires à New York, ils décident dans une démarche quasi-documentaire de coréaliser pour 3000$ TAKE OUT, la course en avant d’un livreur à vélo clandestin pour récupérer sur une journée la somme qu’il doit à ses passeurs. Slamdance assure leur première américaine, Fribourg leur première internationale. Le culte est loin d’être immédiat mais le film signe le début d’une longue collaboration : elle deviendra sa productrice. Un peu dans l’ombre de celui qui obtiendra une Palme d’Or et plusieurs Oscars pour ANORA, mais sans s’en débarrasser radicalement pour autant car leurs sensibilités se ressemblent, Shih-Ching Tsou réalise enfin son premier film en solo, coécrit et monté par Sean Baker. Elle garde sa farouche indépendance bien sûr – l’équipe du film se compte sur les doigts d’une main, le budget est mini et une partie du tournage se fait en guérilla – et, de sa première expérience de mise en scène, cette caméra qui capte ce qui s’offre à elle, et se sert dans le grand cinéma de la réalité. Si TAKE OUT, très âpre, était rythmé au son de New York, ce LEFT-HANDED-GIRL, est rythmé au son du marché de nuit de Taipei et conjugue certains préceptes du Dogme 95 (qui avaient dicté TAKE OUT) et une forme beaucoup plus pop. Musique ultra sucrée, du rose, du vert, du jaune fluo partout : l’habillage d’une ville dopée aux néons colore le film et Shih-Ching Tsou sature l’image – et la vie de ses trois protagonistes – de lumières, de loupiottes, de couleurs vives, de babioles et de figurants. Grouillant de personnages bariolés, le film est tourné au grand angle pour pouvoir tout faire rentrer à l’écran dans une gourmandise d’informations. LEFT-HANDED-GIRL porte bien le nom de sa protagoniste : la jeune I-Jing qui vit avec sa mère et sa sœur est gauchère. Son grand-père, d’une autre époque bien plus superstitieuse, ne cesse de la corriger : la main gauche c’est celle du diable. Et effectivement, le jour où un accident malheureux arrive, I-Jing est convaincue que sa main gauche ne fait que des bêtises. I-Jing a peu d’adultes de son côté. Sa mère est occupée avec son stand au marché de nuit, sa sœur, en rogne contre sa mère, mène une vie que d’aucuns décriraient comme dissolue ; il n’y a bien que le camelot, pour qui elle hurle des petits slogans pour des éponges miracles ou des videurs de dentifrice, qui la considère comme une personne à part entière. Les enjeux de LEFT-HANDED-GIRL sont à hauteur d’enfant et ce n’est pas pour ça qu’ils ne sont pas sérieux : d’un vol de porte-clé à un anniversaire qui tourne au règlement de comptes, Shih-Ching Tsou livre un film généreux et insouciant, où tous les problèmes se résolvent avec joie. Un plaisir.
Partagez cette chronique sur :

Réalisateur : Shih-Ching Tsou
Avec : Janel Tsai, Nina Ye, Shi-yuan Ma, Brando Huang
Pays : Taïwan / France
Durée : 1h54