Cannes 2025 : LES AIGLES DE LA RÉPUBLIQUE

19/05/2025 - Par Aurélien Allin
Tarik Saleh propose une nouvelle variation autour du thriller et examine, implacable, comment le pouvoir d’une dictature contamine les esprits.

En une poignée de films, Tarik Saleh s’est discrètement imposé en maître du piratage de genre. Ses films sont des thrillers ou des polars aux codes classiques, dont il vient détourner certains mécanismes. Après avoir démystifié la grandeur américaine dans THE CONTRACTOR ou détourné le récit d’infiltration pour une étude de personnage ambiguë dans LA CONSPIRATION DU CAIRE, il propose une expérience déroutante – mais payante – avec LES AIGLES DE LA RÉPUBLIQUE. George (Fares Fares, fidèle de Saleh, dans l’une de ses plus belles prestations) est un acteur star en Égypte, surnommé « Le Pharaon de l’écran ». Il collabore avec les plus grands cinéastes locaux, joue dans les meilleurs films. Bien qu’il vive avec une femme plus jeune que lui, il en pince encore pour celles de son âge qui défient la fierté ridicule des hommes. Mais George n’est pas aimé du pouvoir parce qu’il défendrait les droits de l’homme et la démocratie, dans un pays dirigé d’une main de fer par un militaire. Bientôt cible d’une chasse aux sorcières, son fils menacé, il n’a d’autre choix que d’accepter d’incarner le dirigeant dans un biopic à sa gloire. En pliant, il s’enferme dans un cercle vicieux… LES AIGLES DE LA RÉPUBLIQUE repose sur un postulat presque impensable tant il est incendiaire : Tarik Saleh ne prend aucun gant avec la réalité et met en scène la figure du véritable dirigeant égyptien, Al-Sissi. Pas d’alter ego fictionnel, ni de léger pas de côté. Le cinéaste regarde dans les yeux, froidement, tout ce qui cloche dans son pays d’origine : la corruption, l’autoritarisme, la vie chère, les infrastructures vétustes, la censure… Mais le plus marquant reste la manière dont Tarik Saleh tient lui-même son film d’une main de fer, avec une assurance sidérante. LES AIGLES DE LA RÉPUBLIQUE refuse obstinément de sombrer dans le pur thriller : la tension reste toujours sous-jacente, presque lointaine. Par son filmage élégant et sa direction d’acteurs, Saleh exprime alors avec brio comment toute contradiction, avant même d’émerger, est étouffée, mise au silence. Ainsi, tout est ici étrangement feutré, comme écrasé par la chape de plomb que font peser un pouvoir omniprésent et ses agents zélés qui dissimulent leurs menaces derrière un voile infect de calme olympien. Tenant son récit dans la paume de sa main, Saleh retient la bride. Lorsqu’il la relâche, lorsqu’enfin il filme plein cadre ce dont est capable le pouvoir, le vrai visage de la dictature se dévoile dans toute son horreur. Une violence chirurgicale révoltante, qui laisse groggy et pose avec force la question : comment et pourquoi laisse-t-on s’installer le mal ?

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Sortie : 22.10.25
Réalisateur : Tarik Saleh
Avec : Fares Fares, Lyna Khoudri, Zineb Triki, Amr Waked
Pays : France / Suède
Durée : 2h07
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