NI CHAÎNES, NI MAÎTRES
1759, Isle de France – désormais l’Île Maurice. Esclave d’Eugène Larcenet (Benoît Magimel), Massamba (Ibrahima Mbaye Tchie) protège sa fille Mati (Anna Thiandoum), espérant la voir affranchie. Une nuit, elle fuit en quête d’une terre promise. Larcenet lance la chasseuse d’esclaves Madame La Victoire (Camille Cottin) à ses trousses. Massamba comprend qu’il n’a d’autre choix que de combattre. Personne ne reprocherait à NI CHAÎNES NI MAÎTRES d’embrasser un certain manichéisme. Or, sans jamais détourner le regard de la violence physique ou de la déshumanisation par les mots, la grande prouesse du premier film de Simon Moutaïrou réside dans son refus d’être binaire. Il se saisit d’une multitude de points de vue, n’excuse aucune souffrance ni aucune torture, mais révèle les fractures idéologiques qui opposent ses personnages. Mais aussi leurs fêlures intimes, leur insufflant beaucoup de richesse, même aux plus condamnables – Madame La Victoire n’a rien d’une croque-mitaine et s’incarne à l’écran avec réalisme, dans toute sa psychologie, même viciée. Juger uniquement les hommes serait par ailleurs trop facile alors Moutaïrou met en lumière les modes de pensée sur lesquels l’esclavage et le racisme systémique ont prospéré, à commencer par la religion catholique et ses écritures. Évidemment, dans ce qu’il raconte d’une certaine convergence des luttes et dans le portrait qu’il dresse de l’éveil au combat de Massamba, NI CHAÎNES NI MAÎTRES trouve de pertinents échos contemporains : le dédain qu’affichent certains pour « la maladie des Lumières » rappelle comment l’on brocarde toute idée progressiste ou de conscience de l’altérité sous la bannière simpliste du « wokisme ». D’aucuns accuseront peut-être NI CHAÎNES NI MAÎTRES de relire l’Histoire à l’aune du contemporain et… pourquoi ne le ferait-il pas ? Parce qu’il regarde le passé comme une matière vivante afin de chercher à régler tout ce qui ne l’a pas été dans notre histoire commune, NI CHAÎNES NI MAÎTRES démontre toute sa justesse. D’autant que Simon Moutaïrou ne signe pas un film-sujet dévitalisé mais use de la forme comme véhicule du fond – le combat nocturne sous la pluie, éclairé par la foudre, où semblent s’affronter le catholicisme et le folklore des esprits. Qu’il s’agisse de la photo organique d’Antoine Sanier, au naturalisme très travaillé, ou de la formidable musique presque anachronique d’Amine Bouhafa, NI CHAÎNES NI MAÎTRES se construit avant tout en expérience audiovisuelle, sensorielle et émotionnelle, jusqu’à sa sidérante scène de fin, terrassant moment de cinéma comme mise en images de l’indicible.
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Réalisateur : Simon Moutaïrou
Avec : Ibrahima Mbaye Tchie, Camille Cottin, Anna Thiandoum, Vassili Schneider
Pays : France
Durée : 1h38