Cannes 2024 : ANORA

30/10/2024 - Par Renan Cros
Après RED ROCKET, son portrait monstrueux d’un sale type, Sean Baker embarque une Pretty Woman au pays des Soprano. Un faux conte de fées qui vire à la comédie furibarde hilarante.

Les films de Sean Baker sont toujours des contes. Du moins en apparence. Les Cendrillons de TANGERINE, les enfants perdus de FLORIDA PROJECT, le grand méchant loup de RED ROCKET et maintenant donc, ANORA. Lap-danseuse dans une boîte de New-York, Anora dit Ani gagne sa vie en offrant son corps à des anonymes de passage. Un personnage au bord de la marge, comme les affectionne Sean Baker. Et dès les premières minutes, sous les néons où les corps féminins se déhanchent mécaniquement, on est en terrain connu de son cinéma. Avec les frères Safdie, il est l’une des voix du cinéma indé US les plus intéressante, avide de tirer le portrait des déclassés du rêve américain. Mais cette fois-ci, le rêve a bien lieu. Vanya, le fils d’un oligarque russe se prend de passion pour elle. Et si Ani trouvait là sa porte de sortie ?

Le milliardaire et la prostituée, ça ne vous rappelle rien ? Évidemment, le fantôme de PRETTY WOMAN plane au-dessus de la première partie du film. Comme si Baker réécrivait ce classique à l’aune d’aujourd’hui, il raconte l’idylle naissante entre Ani et Vanya en montrant la crudité de ce que le film de Garry Marshall rendait follement romantique. Sur fond de sexe pas terrible et de tractations financières, Baker filme la démesure d’une jeunesse russe ultra privilégiée qui s’achète tout, même l’amour. Ani, elle, travailleuse du sexe, se laisse emporter. Énergique, la première partie ressemble à du Baker, le conte est bon, la mise en scène sublime et ironise à tout va, et on voit venir le mélodrame à grand pas. Sauf que non, ANORA est une comédie. Une grande comédie, méchante, épileptique, ponctuée de coups de boule et de fuck jouissifs. Car soudain Pretty Woman croise la route des Sopranos, avec une bande d’hommes de mains arméniens bien décidés à séparer Ani et Vanya. Et là, tout dérape pour notre plus grande joie. Avec un tempo comique imparable, un sens des seconds rôles tordants, le film mute, délire, débraie et bastonne à tout va. Et derrière la virée folle, à la façon du meilleur du cinéma des frère Coen, Sean Baker de raconter cette Amérique de la servitude, celle de ceux qui doivent réparer les conneries des puissants et payer les pots cassés.

Tout ça pourrait emballer un chouette petit film, roublard et rigolo. Mais Sean Baker a l’élégance de prendre le genre au sérieux. Vous vouliez une comédie romantique ? Vous l’aurez. Inattendue, émouvante, qui survient par pointillés et vous file le sourire malgré vous. Pour autant, et c’est la prouesse du film, il n’en oublie pas la violence, la tristesse de ces corps épuisés, sommés de se vendre pour s’acheter une place dans ce monde. Et dans une dernière séquence finale marquante, il filme tout ça en même temps, concluant avec grâce un film qui ne peut pas abandonner son héroïne mais ne voudrait pas nous leurrer avec un happy end. Porté par l’énergie d’un casting brillant qui donne tout (Mikey Madison, de tous les plans, géniale ; Mark Eydelshteyn, sorte de Timothée Chalamet burlesque ; Yuri Borisov, droopy hilarant…), ANORA s’impose comme le meilleur film de Sean Baker et le meilleur d’un cinéma indépendant américain capable de faire du grand cinéma avec des personnages et des récits pas formatés. Tout ça en regardant l’Amérique et ses fictions de travers. Que demander de plus ?

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Sortie : 30.10.24
Réalisateur : Sean Baker
Avec : Mikey Madison, Yuri Borisov, Mark Eydelshteyn, Karren Karagulian
Pays : États-Unis
Durée : 2h19
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