Retour sur… Séries Mania 2024

03/06/2024 - Par Guillaume Nicolas
Au début du printemps, Lille a une nouvelle fois accueilli le festival consacré aux séries. Flashback.

Nous sommes au troisième jour de festival et la masterclass de Zal Batmanglij (co-créateur de THE OA et d’UN MEURTRE AU BOUT DU MONDE), dirigée par Renan Cros, arrive à son terme. La dernière question d’un public inspiré et venu nombreux est posée et on s’apprête à applaudir une dernière fois le président du jury de cette édition 2024 de Séries Mania. Mais un homme se lève et sans micro interroge l’auteur une ultime fois. C’est Sofiane Zermani, membre de ce même jury, qui demande si les séries peuvent changer le monde. Une question qui reviendra lors de la rencontre électrique avec Peter Mullan menée par Charlotte Blum.

La réponse, peut-être un peu idéaliste, est souvent la même : oui. L’art, sous toutes ses formes, possède le pouvoir de regarder le monde et d’offrir une représentation qui peut modifier la perception que l’on peut en avoir. Une série seule n’a pas la force de changer nos sociétés mais à l’échelle de l’individu, son impact possède un réel potentiel. Et multipliez les individus, vous aurez une bonne chance d’entraîner des remous.

Javier Ambrossi et Javier Calvo (LA MESÍAS) l’ont bien saisi dans leur discours de remerciements après avoir remporté le Prix Étudiants (ils seront aussi récompensés par le jury du Panorama International présidé par Douglas Kennedy pour la meilleure réalisation). La jeunesse aujourd’hui a accès à tout, peut tout voir, tout savoir et dans un espace en constante stimulation doit se méfier des algorithmes qui réfléchissent à notre place. C’était l’un des axes de cette édition. Il y a la mise en garde de Zal Batmanglij sur ce moment chaotique de notre existence où il est bien difficile, voire impossible, de savoir à quoi ressemblera notre monde dans dix ans. Ainsi que la série REMATCH (prochainement sur Arte), où l’on assiste aux prémices de l’intelligence artificielle avec la rencontre entre le Grand Maître des échecs Garry Kasparov et l’ordinateur Deep Blue, qui remporte le prix suprême de la Compétition Internationale.

C’EST LE MONDE QUI A CHANGÉ

Cette édition 2024 a offert une belle pluralité d’histoires dans lesquelles se tisse une thématique commune. Celle de montrer les bouleversements du monde dans une vision macro et microscopique. Tout a commencé dans une ampleur monumentale avec LE PROBLÈME À TROIS CORPS, la série blockbuster de Netflix par les showrunners de GAME OF THRONES David Benioff et D.B. Weiss, pour dériver vers des choses plus subtiles ou circonscrites à l’échelle individuelle.

Le Problème à trois corps (Courtesy of Netflix © 2023)

Dynamiter notre quotidien, secouer nos habitudes, sortir de notre zone de confort, se changer soi pour faire l’expérience d’un monde qui bouge : des notions qui ont été au programme de plusieurs séries. C’est un couple qui décide de se challenger en allant voir ailleurs pendant un mois dans l’allemande 30 DAYS OF LUST ; c’est une jeune adulte qui va sortir de sa bulle virtuelle pour se confronter aux rencontres IRL dans la norvégienne DATES IN REAL LIFE ; c’est la rencontre mythique entre Leonard Cohen et Marianne Ihlen en Grèce dans SO LONG MARIANNE, coproduction norvégienne, grecque et canadienne.

Cela passe aussi par des actes disruptifs comme la nomination d’un Sheik progressiste dans l’australienne HOUSE OF GODS (prix d’interprétation masculine) ; ou vouloir effacer la dette des pays pauvres dans l’allemande HERRHAUSEN, THE BANKER & THE BOMB (prix du scénario) ; l’apport de la psychanalyse et le profiling dans les enquêtes dans CATCH ME A KILLER (Afrique du Sud), relecture HBO-esque d’une MINDHUNTER à la mode True Crime ; ou encore la venue de lycéens boursiers noirs dans un établissement privé et bourgeois dans BOARDERS.

Boarders (Copyright Studio Lambert – All3media international)

D’autres ont préféré une approche plus fantastique ou allégorique. La canadienne SOCIÉTÉ DISTINCTE et l’espagnole LA MESÍAS usent de l’enlèvement extraterrestre pour questionner nos rapports au vide laissé par une disparition ou une enfance maltraitée. Comment on se reconstruit avec des traumatismes. Enfin SHOW YOURSELF imagine un monde dans lequel un mal incurable apparaît : la disparition progressive des parties de notre corps. Fable grinçante sur l’envie de voir et le désir d’être vu qui exprime très bien notre rapport trouble avec la reconnaissance.

Dans cette dynamique, les séries françaises ont été étrangement absentes. Plus conceptuelle (HOMEJACKING, OCS) ou récréatives (MACHINE, Arte ; MURDER CLUB, M6), elles ont timidement abordé notre société dans LE MONDE N’EXISTE PAS (Arte) ou DANS L’OMBRE (France 2), adapté du livre d’Edouard Philippe.

Alors si on ne sait pas à quoi notre monde va ressembler dans dix ans, on peut apprécier qu’à défaut de le changer, on peut oser aller plus loin et observer des mouvements dans la tectonique des plaques qui font vaciller les certitudes. Un rappel de l’importance de l’art, qu’un festival met en avant même s’il se crée une bulle événementielle et éphémère. Reste à espérer que ces séries du monde trouvent un diffuseur dans un futur proche. Autre incertitude…

Société distincte (Copyright Blachfilms)
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