WICKED : JON M. CHU, LE MAGICIEN OSE
Les fans en rêvaient et l’attendent depuis des années. Les autres vont prendre de plein fouet le raz-de-marée WICKED. Depuis plus de vingt ans maintenant, à Londres et à New York notamment, le public se presse pour découvrir ce spectacle féérique, drôle et grave, sur les origines d’un des personnages mythiques de la culture populaire américaine. Librement adapté de l’œuvre de littérature fantasy de Gregory Maguire, le musical « Wicked » imagine l’enfance et l’adolescence d’Elphaba, née verte au pays d’Oz, et tente de comprendre pourquoi et comment elle est devenue l’effroyable Sorcière de l’Ouest. Plus qu’une réécriture amusante du roman culte de L. Frank Baum, les livres, la pièce et maintenant le film offrent une autre perspective sur son histoire et questionnent avec une modernité toujours aussi étonnante la fabrique des héros et des méchants. Traversé de tubes (« Defying Gravity », « Popular », « Dancing through Life »), le spectacle allie le merveilleux et l’intime avec une puissance assez irrésistible. C’est peu dire que Jon M. Chu avait la pression pour l’adapter. Mais le réalisateur, déjà brillant auteur des meilleurs SEXY DANCE et du formidable D’OÙ L’ON VIENT, est taillé pour relever le défi. Grand spectacle pour toute la famille, WICKED envisage la possibilité d’un blockbuster à la fois somptueux et habité. Du cinéma qui en met plein les yeux, certes, mais qui prendrait surtout le temps de faire exister le monde et les personnages qu’il invente. Au centre, les deux interprètes Ariana Grande et Cynthia Erivo orchestrent la rencontre entre la fée Glinda et la sorcière Elphaba, cœur battant de ce WICKED, dont on ne découvre ici que les prémices avant une deuxième partie en 2025. Tandis qu’il continue de peaufiner le montage de ce deuxième volet et qu’il entame un marathon promo qui pourrait bien l’emmener jusqu’aux Oscars, Jon M. Chu nous raconte la fabrique de ce film hors normes qui défie la gravité, dans tous les sens du terme.
Pourquoi une comédie musicale aujourd’hui ? Pourquoi est-ce que ce genre est toujours aussi important, selon vous ?
Jon M. Chu : Le monde autour de nous change en permanence. Tout est incertain. C’est compliqué de réussir à exprimer dans la vie de tous les jours toutes les frustrations, l’espoir ou la joie qui nous traversent. Alors bien sûr, on a la littérature pour nous aider à mettre des mots sur ce qu’on vit. Et c’est très important. Les films aussi. Mais si vous ajoutez la musique à tout ça, vous ouvrez une nouvelle dimension. La comédie musicale, c’est l’Art total. C’est l’expression la plus directe des émotions. C’est l’endroit où vous pouvez ressentir plus fort le monde. Il y a des cycles. Parfois, le genre se fait plus discret. Et puis soudain il revient, plus libre, pour permettre au public de ressentir ensemble des émotions intenses. Si vous regardez son histoire à Hollywood, la comédie musicale a toujours été un genre en réaction à des moments de crises, de guerres, de grands changements ou de transitions. Je ne vais pas revenir sur tout ce qui ne va pas dans le monde mais vous comprenez bien pourquoi, aujourd’hui, la comédie musicale est importante. WICKED dialogue avec LE MAGICIEN D’OZ et L. Frank Baum a écrit ce conte à l’époque où l’Amérique entrait dans le XXe siècle, avec tous ses changements. Le film, lui, date de 1939, à l’orée de la Seconde Guerre mondiale. WICKED arrive après la pandémie, après plein de doutes sur le monde et sur le cinéma lui-même.
« La comédie musicale, c’est l’Art total. C’est l’expression la plus directe des émotions. »
Vous avez réalisé plusieurs SEXY DANCE mais aussi D’OÙ L’ON VIENT, d’après Lin-Manuel Miranda. D’où vous vient cet amour du genre ? Vous rêviez de devenir un réalisateur de comédie musicale ?
Pas du tout, à mes débuts. J’ai juste pris des cours de claquettes quand j’étais enfant. Et j’étais très mauvais. Ma mère nous obligeait avec ma sœur à faire des concours. Je préférais la danse qui était plus de mon âge et j’avais plein d’amis danseurs. J’étais fasciné, et je le suis toujours, par leur capacité à utiliser leur corps, l’espace, le rythme pour raconter des choses. L’esprit de troupe aussi, c’est tout de suite quelque chose qui m’a plu. J’aime la poésie de ce monde de la danse et du spectacle. Mais je suis le gamin derrière la caméra, celui qui filme ses copains pour garder une trace. J’ai commencé très tôt à les filmer. C’était mes amis alors je savais comment les filmer, comment les mettre en valeur. Je comprenais ce qu’ils voulaient transmettre par leur art. J’ai compris qu’avec une caméra je pouvais les sublimer, les enlaidir aussi, les rendre plus forts, plus fragiles, faire en sorte que le mouvement soit encore plus rapide, qu’il ait plus d’impact… C’est en regardant des danseurs que j’ai appris le pouvoir du cadre, la grammaire du cinéma. Donc, non, je n’ai jamais rêvé de faire de la comédie musicale. Mais ça s’est imposé à moi. Comme une sorte de rencontre évidente. J’aime filmer le mouvement, la vitesse, l’harmonie. Rien ne me passionne plus que ça.
SEXY DANCE et D’OÙ L’ON VIENT sont des comédies musicales urbaines, tournées dans la rue et mettant en scène du hip-hop. WICKED est en fait votre première comédie musicale ‘classique’… Qu’est-ce que ça a changé dans votre manière de la mettre en scène ?
C’est à la fois la même chose et totalement différent. Ce que ces films ont en commun, c’est la démesure, l’envie de créer du spectacle. Avec D’OÙ L’ON VIENT, on a tourné dans les rues de New York. On a raconté les rêves de toute une communauté sur des murs immenses. Ça m’a rappelé mes rêves d’enfant, dans ma chambre, et comment j’imaginais ce que ce serait de pouvoir les réaliser en grand. Mais CRAZY RICH ASIANS, même si ce n’est pas strictement une comédie musicale, a quelque chose aussi de très spectaculaire. J’ai imaginé ce film comme un spectacle, comme un voyage vers une culture que l’Amérique ne connaît pas. Dans ces deux films qui traitent de ce que c’est qu’être d’une culture différente aux États-Unis, j’ai incorporé des moments de cinéma classique hollywoodien. De la comédie romantique façon année 1950, des moments de ballets façon années 1930, comme un moyen de prouver que quand on vit en Amérique, Hollywood nous rassemble, nous traverse. J’ai toujours aimé faire dialoguer les œuvres d’hier avec notre présent.
La suite de l’entretien avec Jon M. Chu dans le magazine, actuellement en vente en kiosque
Partagez cet entretien sur :
Réalisateur : Jon M. Chu
Avec : Cynthia Erivo, Ariana Grande, Jonathan Bailey, Michelle Yeoh
Pays : États-Unis
Durée : 2h41