Vidéo : CURE et KAIRO
Lorsqu’en 1997 Kiyoshi Kurosawa accède à une reconnaissance internationale avec CURE, il a une longue carrière derrière lui, initiée au début des 80’s dans le pinku eiga, le V-Cinema (les DTV nippons) et de prétendues séries B où son talent impressionne déjà. Mais CURE a un avantage : il investit un genre-star des 90’s, le film de serial killer. L’inspecteur Takabe enquête sur des meurtres sanglants. Si le mode opératoire se répète, les tueurs diffèrent. Tous ont été retrouvés, conscients d’être coupables, mais incapables d’expliquer leur acte. Takabe le sait : quelqu’un tire les ficelles. Alors que certaines grandes pages du genre viennent de s’écrire avec LE SILENCE DES AGNEAUX ou SEVEN, Kurosawa le déconstruit déjà, envisageant le tueur en série comme un monstre de conte de fée, un ogre ou un croque-mitaine moderne qui, peu à peu, « contamine » la culture populaire – l’enquêteur se demande même si les tueurs ne se sont pas inspirés d’un livre ou d’un film. Ce nouveau mythe de la fin du XXe siècle permet à Kurosawa d’interroger la question du Mal, sa banalité et surtout, l’impossibilité de lui trouver un sens. Face à ce mystère, Takabe chavire peu à peu et Kurosawa mue CURE en cauchemar introspectif, où sa maîtrise du hors champ et du plan long crée un vertige de spectateur. Car CURE s’insinue de la plus marquante des façons : insidieusement.
Un modus operandi que Kurosawa réitère en 2001 avec KAIRO, son plus grand film et le chef-d’œuvre de la J-Horror. Lorsque le cinéaste imagine cette histoire de fantômes qui envahissent le monde des vivants par les modems, Internet balbutie encore. Pourtant, KAIRO a déjà tout compris de ce qu’il va advenir : devant des écrans, personne ne nous entendra sombrer dans un isolement mortifère. Pour susciter l’effroi, Kurosawa reste fidèle à son amour du hors champ et de l’instant où il percute le champ. Ici, l’horreur est déjà souvent présente dans le cadre lorsque le spectateur la remarque, alors terrifié d’être à la merci des spectres. Jalonné d’images quotidiennes et fantastiques dérangeantes qui jouent avec morbidité du voyeurisme des spectateurs, des personnages et plus globalement, de la culture de l’image, KAIRO n’a pas vieilli d’un iota en dépit de la technologie obsolète qu’il met en scène parce que son cœur émotionnel reste d’une pertinence et d’une puissance absolues. Si la tristesse fait partie intrinsèque du genre horreur, ne serait-ce qu’indirectement, par ses thèmes et figures (la mort, la violence, etc.), Kiyoshi Kurosawa en fait un moteur central de KAIRO. Grand observateur de la solitude et d’une certaine déshumanisation – thèmes déjà perceptibles dans THE GUARD FROM UNDERGROUND en 1992 –, KAIRO terrifie parce que le spectateur en vient à considérer ces fantômes comme une part de lui-même.
CURE et KAIRO sont disponibles en pack Blu-ray / UHD 4K chez Jokers Films
Partagez cette chronique sur :
Pays : Japon