TRAIN DREAMS
« Ce fut un plaisir, Robert. Merci pour la balade », lance Claire (Kerry Condon), employée du service des forêts à Robert Grainier qui la transporte en cariole. Ça faisait longtemps que quelqu’un n’avait pas été si bienveillant avec ce bûcheron. À ce moment-là de la vie de Robert, ça ne va pas fort. Tout n’allait pourtant pas si mal : après une petite enfance dure et solitaire – il a perdu ses parents à six ans et ne connaît pas sa date de naissance –, il a rencontré Gladys (Felicity Jones) à l’Église et l’a vite épousée. Malgré son métier qui l’éloigne de chez lui chaque année à la saison des coupes et lui fait arpenter l’Amérique « vers l’ouest, à moins de 100 km du Pacifique, et vers l’est jusqu’au bourg de Libby, 65km après la frontière du Montana », il fonde une famille. Mais un jour, alors qu’il travaille sur un chantier du rail, il assiste, médusé, au meurtre d’un camarade chinois, tout comme enfant, il avait été témoin impuissant de l’expulsion massive d’une centaine de familles chinoises hors de la ville. « Grainier fut déconcerté par la désinvolture de cette violence », nous relate cette voix off omnisciente (celle de Will Patton) chargée de nous raconter l’humble vie de Robert Grainier comme si nous étions chez Jack London. Le péché originel, celui de l’Amérique, devient un peu le sien. De là, notre bûcheron n’aura de cesse d’attendre que la vie lui fasse payer. Dans TRAIN DREAMS, les années passent avec désinvolture et humour, au gré des poètes illuminés que Robert côtoie chaque année – dont un formidable Arn Peeples, joué par William H. Macy, philosophe à briser le cœur… Puis l’abattage étant ce qu’il est, le ton se fait plus grave à mesure que Robert enterre les copains et cloue leurs bottes aux arbres pour laisser une trace de leur passage. Ce que capture avec justesse le réalisateur Clint Bentley (coscénariste du prodigieux SING SING), c’est ce poids que la vie fait peser toujours plus lourd au fil du temps, la peur de la mort et de perdre les siens, les souvenirs qui perturbent le sommeil, les angoisses sous forme de mirage et l’enfance qui vous suit toute votre vie. Et même encore plus tard, les hallucinations, les délires auxquels la tête se laisse aller, troublée par la peine. Qu’il incarne le bonheur de la jeunesse, la gravité de l’âge adulte ou la mélancolie de la vieillesse, Joel Edgerton n’a rien à « faire » ; il est, par son regard, son dos voûté, une lèvre qui se pince ou une tête qu’il hoche pour refuser la réalité. C’est ce qu’il a livré de plus terrassant car il mène seul un récit contemplatif et méditatif sur le sens de la vie. Loin du pensum, TRAIN DREAMS observe la dure loi de la nature et la cavalcade de l’Amérique vers le progrès qui en laisse tant sur le carreau. Alors que Robert tente de faire démarrer une tronçonneuse, lui qui n’a manié que la hache, un jeunot lui arrache l’engin des mains, en l’appelant « l’ancien ». Robert ne s’est pas vu devenir vieux. « Ce fut un plaisir, Robert. Merci pour la balade. »
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De : Clint Bentley
Avec : Joel Edgerton, Felicity Jones, William H. Macy, Nathaniel Arcand
Pays : États-Unis
Durée : 1h43
