THE BIKERIDERS

19/06/2024 - Par Aurélien Allin
Jeff Nichols adapte en fiction un livre de photos sur un club de motards. Derrière une trompeuse simplicité, un de ses films les plus exigeants.

Rien ne ressemble plus à un film de Jeff Nichols qu’un autre film de Jeff Nichols – c’est le lot des grands auteurs. Depuis SHOTGUN STORIES, il a affirmé avec assurance son style, composé d’éléments concrets (les bourgades et la ruralité, les tournages en décors réels et en pellicule, le recours au genre…), d’autres plus abstraits (la retenue et la justesse des émotions, la mythologie du Sud…), pour un cinéma organique et éthéré. Pourtant, chacun de ses films ne ressemble qu’à lui-même, de par son ton ou l’approche spécifique d’un genre. THE BIKERIDERS se distingue par sa structure peu linéaire, presque impressionniste, faite d’accélérations, de décélérations, d’allers-retours entre les époques, qui, au fil du récit, entraîne une évolution radicale et pourtant subtile du ton. Débutant dans une effusion scorsesienne période LES AFFRANCHIS, THE BIKERIDERS s’impose tout d’abord comme un spectacle euphorisant d’une grande drôlerie, qui joue avec brio de son imagerie. La légèreté n’a d’égal que le charme de son trio star – l’écrasant charisme d’Austin Butler, la dévorante énergie de Jodie Comer, l’humanité de Tom Hardy, plus James Gandolfini que jamais –, le tout s’épanouissant dans un grand élan d’iconisation – les deux premiers plans, prodigieux d’évocation. Ce doit être ça, la grande Amérique libre qui fascine tant, que Nichols et son chef opérateur Adam Stone capturent comme s’il s’agissait d’une peinture chaude et colorée de Rockwell ou de Hopper. Une virée nocturne sur un pont frise même le merveilleux de MIDNIGHT SPECIAL. Puis, tout comme l’aura magique de Mud s’effilochait peu à peu pour ne révéler plus que sa simple humanité, le portrait des motards de THE BIKERIDERS perd de son éclat fantasmagorique. Sans bascule marquée, avec une grande maîtrise invisible, le ton change, audace qui en fait probablement le film le plus fuyant et exigeant de Nichols, peut-être le moins confortable. Alors que le groupe bon enfant attire plus de membres, qu’il passe de club à gang, THE BIKERIDERS se fait plus sombre, plus triste, sa violence plus âpre. « C’est ce que nous sommes, désormais ? ». L’envers du décor de toute une mythologie américaine se révèle, plus mélancolique, incapable d’être à la hauteur de son romantisme idéalisé. Jeff Nichols capture la fin d’une époque, la mort d’une illusion, un paradis fichu, une perte d’identité. « Tu as beau tout donner à un truc, il finira par faire ce qu’il veut ». Le regard déboussolé de Tom Hardy lorsqu’il lance cette réplique incarne bien la tristesse terrassante qui émane de THE BIKERIDERS, cette nostalgie pour tout ce(ux) que l’on a perdu(s) un jour.

Partagez cette chronique sur :
Sortie : 19.06.24
Réalisateur : Jeff Nichols
Avec : Austin Butler, Jodie Comer, Tom Hardy, Michael Shannon, Toby Wallace
Pays : États-Unis
Durée : 1h56
Partagez cette chronique sur :

Découvrez nos abonnements

En formule 1 an ou en formule 6 mois, recevez Cinemateaser chez vous !