SPEAK NO EVIL
En vacances en Italie, deux familles se lient d’amitié. À leur retour en Angleterre, l’une invite l’autre chez elle pour un long week-end à la campagne. Les invités vont rapidement trouver leurs hôtes envahissants, voire franchement inquiétants… Extrêmement fidèle aux deux premiers tiers du récit de NE DIS RIEN, film danois dont il est le remake, SPEAK NO EVIL s’avère pourtant très différent de son modèle. James Watkins y opère une série de choix, discrets ou visibles, qui modifient drastiquement le ton, tirant ici clairement vers la satire. De personnages désagréables, voire immédiatement détestables dans le roide et nihiliste NE DIS RIEN, les hôtes apparaissent ici plus ambigus – sont-ils sans gêne ou superbement libres, honnêtes ou manipulateurs, épanouis ou pervers ? Tout ça à la fois ? Une richesse qui, de revirements en révélations, assure leur crédibilité mais aussi celle des réactions des invités, effacés et infoutus de tourner les talons pour rentrer chez eux, comme aimantés à ce couple qui serait une meilleure version d’eux-mêmes. La performance intrépide de James McAvoy, dont le curseur se balade avec génie du plus subtil au plus grandiloquent, injecte à Paddy, l’antagoniste qu’il incarne, un charme vénéneux qui infuse dans l’ADN du film et en fait un objet polymorphe jouissif capable d’être en même temps gênant, hilarant et inquiétant. L’inconfort apparaît alors absolument organique et transpire de l’écran, vecteur d’identification du spectateur. Car à travers Paddy, SPEAK NO EVIL prend le pouls de l’époque. Watkins y raconte les excès de la masculinité, ce besoin d’asseoir sa virilité, ses performances – sexuelles, financières… –, sa supériorité sur ceux qui, moins à l’aise, peinent à s’affirmer. Dans EDEN LAKE et LA DAME EN NOIR, James Watkins jouait avec ce que le spectateur croyait avoir vu. Ici, avec une multitude de longs plans larges qui captent les interactions sociales légèrement à distance, il fait de chacun de nous des témoins passifs de ce spectacle mi-malaisant mi-captivant. Là surgit avec force tout un propos, comme un coup de poing dans les tripes : le mal est là, banal et quotidien. Démagogue, il charme, promet monts et merveilles. Et ainsi, s’installe sans que l’on ose le rabrouer, par couardise, excès de courtoisie ou pure convention. Mais une fois le contrat social rompu, peut-on répliquer ? Peut-on le faire sans se salir les mains ? Autant de questions passionnantes et actuelles, que Watkins traite minutieusement, jusqu’au bout, sans se détourner de l’outrance parfois nécessaire pour y parvenir.
Partagez cette chronique sur :
Réalisateur : James Watkins
Avec : James McAvoy, Mackenzie Davis, Scoot McNairy, Aisling Franciosi
Pays : États-Unis
Durée : 1h50