REBEL RIDGE
La première demi-heure de REBEL RIDGE propose une expérience singulière à son public et scelle avec lui un pacte d’une rare solidité. Tout débute sur une petite route de Louisiane. Un casque beuglant Iron Maiden sur ses oreilles, Terry, un homme noir, roule sur son vélo. Une voiture de police le renverse et deux officiers vont alors le fouiller, l’interroger, lui confisquer son argent et le menacer d’arrestation. L’injustice est patente, révoltante. Le stoïcisme de Terry, parfaitement incarné par le calme imposant de son interprète Aaron Pierre (THE UNDERGROUND RAILROAD), agit comme un accélérateur d’empathie : parce qu’il ne peut hurler, sous peine de subir ce que bien des hommes noirs ont subi sous les coups de la police aux États-Unis, le spectateur bout et, dès lors, roulera pour lui les 2h11 que dure REBEL RIDGE – même si elles s’avéreront superfétatoires. Terry n’est pas genre à abandonner. Scène après scène, il demande réparation, souligne l’injustice, cherche un moyen de récupérer son argent – qui doit servir à libérer sous caution son cousin. Mais face à lui se dresse une police corrompue et raciste – « On devrait pendre cet enfoiré », dit un personnage, en référence aux lynchages qui ont parsemé l’histoire des États du Sud –, et plus globalement, un système dément qui, plutôt que de protéger ses citoyens, gonfle les muscles pour assurer sa pérennité. Là réside toute la force de REBEL RIDGE. La lente montée en tension écrase, fascine même, et avec ce cauchemar kafkaïen que traverse Terry, le film réifie une anxiété et une colère contemporaines tout à fait universelles. S’incarne ainsi sous nos yeux l’ère de la post-vérité trumpiste, qui contamine lentement le monde depuis dix ans. Un dédale absurde dont il est impossible d’échapper, où les faits, la justice et la raison n’ont plus aucun droit de cité – « C’est pas parce que t’as raison qu’on a tort », dit le grand méchant. Que reste-t-il, alors ? La révolte. Terry, ancien militaire formateur en close combat, va rentrer dans le tas. On retrouve alors le Jeremy Saulnier vindicatif de BLUE RUIN et GREEN ROOM qui filme la violence avec une maîtrise implacable – les combats, certains sans le moindre coup, sont originaux et jouissifs à regarder –, presque une obligation à laquelle sont contraints des personnages écrasés par des contingences extérieures. Dans son dernier tiers, REBEL RIDGE dérive peu à peu vers une intrigue plus complexe et tentaculaire, mais aussi plus confuse, à l’impact amoindri. Mais le pacte scellé avec Terry reste trop fort : on le regarderait redresser les torts jusqu’au bout du monde.
Crédit photos : Allyson Riggs / Patti Perret / Netflix © 2024.
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Réalisateur : Jeremy Saulnier
Avec : Aaron Pierre, AnnaSophia Robb, Don Johnson, Emory Cohen
Pays : États-Unis
Durée : 2h11