QUEER
Il y a un doute sur le cinéma de Guadagnino. Fabrique-t-il des images pour en jouir ou pour moquer, justement, leur pouvoir de séduction ? Si le montage épileptico-érotique de CHALLENGERS avait atteint une forme de paroxysme de la jouissance possible du cinéaste italien, QUEER en est alors certainement le versant inquiet. Moins une adaptation du court roman de William S. Burroughs qu’un point de départ, un cadre pour permettre à Guadagnino d’explorer des images, QUEER tient son propos en quelques lignes. Un écrivain traîne son corps vieux et drogué à Mexico. Là, il quémande et paie le corps de jeunes hommes. Lorsqu’il croise la route d’un jeune officier, quelque chose va l’obséder. Là où Burroughs racontait dans un texte furieux le désir et la haine de soi mélangés, Guadagnino invente un film languide, à la fois sexy et sale, qui n’est jamais une histoire d’amour ou de désir. Mais qui interroge plutôt la frustration. Lee (Daniel Craig) fantasme Eugene (Drew Starkey), l’observe, veut l’avoir pour lui, comme un vampire. Cette jeunesse lui échappe. Et quand bien même Eugene s’offrirait à Lee, qu’en resterait-il ? En changeant de point de vue, en filmant le désir par ce qu’il a, non pas d’attirant, mais de névrotique, Guadagnino éclaire son cinéma formaliste d’une noirceur assez fascinante. Nimbé dans une lumière expressionniste et des décors dont la facticité de studio est à peine masquée, QUEER s’invente comme un pur objet esthétique et convoque avec grâce dans une première partie le fantôme du cinéma cruel de Fassbinder. Des plans tableaux à la beauté bizarre, quasi obsolète, où le désir est une affaire de pouvoir et de transaction. Comme une façon d’observer les zones d’ombres scabreuses que le soleil éclatant de CALL ME BY YOUR NAME nous avait empêché de voir. S’enfonçant dans sa dernière partie dans la jungle à la recherche d’un hypothétique moyen que l’autre vous appartienne, le film va au bout de ses images dans une étrange scène trip. Toujours au bord du ridicule, radical par son récit maigre, QUEER fascine par l’ambivalence de ses images. Désagréable, tant il déroute et dérange par cette plongée dans la tristesse du désir, tant la mise en scène très formelle nous tient toujours en équilibre entre l’art de la composition et la décomposition des êtres à l’écran, l’expérience et sa mélancolie crasse collent pourtant à la rétine. Du beau dans du laid, du laid dans du beau. À l’image de la performance folle de Daniel Craig qui offre son visage marqué et ses yeux bleus perçants à la caméra comme les stigmates d’un temps que l’on n’a pas vu passer.
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Réalisateur : Luca Guadagnino
Avec : Daniel Craig, Drew Starkey, Jason Schwartzman, Lesley Manville
Pays : États-Unis
Durée : 2h17