PRIS AU PIÈGE – CAUGHT STEALING
On avait quitté Darren Aronofsky sur THE WHALE, dont la complexité de mise en scène (l’unité de lieu n’entravait ni l’énergie ni le mouvement) et d’écriture (l’introspection de Charlie poussait à celle, inconfortable, du spectateur) servait un but : l’empathie comme transcendance. On retrouve le cinéaste avec CAUGHT STEALING, que d’aucuns pourraient vendre comme l’exact opposé : un thriller fun et remuant avec pour velléité principale d’activer le palpitant et qui, au lieu de filmer un corps obèse qu’une société insensible se refuse à voir, met en scène ce que l’époque a engendré de plus proche du demi-dieu grec – Austin Butler. New York, 1998. À l’horizon se dressent encore les Tours Jumelles, on écoute du Garbage et on danse sur du Meredith Brooks. Hank, lui, oublie ses rêves de gloire – il a failli être pro de baseball – en faisant le barman et en picolant (trop). Lui qui aimerait juste passer du bon temps avec sa copine Yvonne (Zoë Kravitz) va, sur un concours de circonstances, devenir la cible de plusieurs groupes de gangsters. Débute une infernale spirale de chaos et de violence. Fun et remuant, CAUGHT STEALING l’est : constamment surprenant, il déborde d’une rage, d’une vivacité et d’une envie d’instiller le bazar jouissives, porté par sa redoutable bande-son punk, la caméra virtuose de Matthew Libatique et l’appétit habituel d’Aronofsky pour un ton frisant le mauvais goût et pour les images fortes. De prime abord, CAUGHT STEALING pourrait presque sembler décorrélé du cinéma généralement grave et tragique du réalisateur. Le film révèle pourtant très tôt ce que cache cette jolie vitrine d’entertainer. Amateur des forces contraires (la croyance / la réalité, le charnel / le théorique… à nouveau déployées ici), Aronofsky accélère autant qu’il décélère, certains débrayages suffisamment brutaux pour venir en totale opposition de son entreprise première d’efficacité. Les mécanismes du récit se font ainsi plus retors que huilés, comme enrayés par la tristesse insondable et l’impuissance de son vrai-faux héros branque parfois égoïste, fanfaron mais effrayé qui, à son insu, sème la mort dans un New York où ceux qui ne bénéficient pas de la gentrification n’ont pas d’autre choix que de montrer les dents pour survivre. Hollywood aura beau vouloir vendre une grosse banane – ce que CAUGHT STEALING est également –, il y a aux commandes un cinéaste qui ne peut échapper à son ADN, aux thèmes qui le préoccupent – dont l’addiction de l’Amérique à son rêve débilitant –, et à son regard inquiet sur le monde. Une singularité qui donne évidemment toute sa pleine saveur au divertissement.
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De : Darren Aronofsky
Avec : Austin Butler, Zoë Kravitz, Regina King, Liev Schreiber
Pays : États-Unis
Durée : 1h47