NOSFERATU
« He’s coming », répète Ellen fiévreuse, tandis que pour la science, elle est forcément folle et que son salut passera par un corset bien serré. Pendant que son mari, Thomas, est appelé dans les Carpates pour faire affaire avec le mystérieux comte Orlok – après un premier acte glaçant, il s’enfuira de son château pour ne plus jamais être le même –, cette fragile jeune femme est confiée à la protection d’un couple d’amis, Anna et Friedrich. Mais plus Ellen sent le mal arriver, plus les manifestations de sa présence sont violentes et mortelles, moins on l’écoute. Pourtant Nosferatu sera bientôt en ville, pour s’emparer d’elle, telle la peste – maladie que le premier NOSFERATU de Murnau imageait à travers la figure du vampire. Ici, on peut tout projeter sur ce dernier : la pandémie du Covid, le fascisme insidieux se répandant en Europe (« la manière de le rejeter varie selon la région où on le combat », nous lance-t-on comme un indice) et même d’autres pensées réactionnaires face à la vague progressiste féministe. Car dans ce nouveau NOSFERATU, la force des femmes, leur liberté, leur acuité ou leur épanouissement sexuel appellent la destruction par les monstres. Seuls les braves sont sidérés et admiratifs. Et il y a de quoi s’extasier devant la performance de Lily-Rose Depp, dont on connaît la délicatesse mais moins l’audace quand il faut jouer la possession, et mêler la tragédie aux gesticulations de danse contemporaine, tout en grimaçant dans un exercice compliqué mais qu’elle réussit haut la main. On oublie l’égérie de mode et on s’incline devant l’habileté et le talent de l’actrice. Sans cette prestation totalement habitée, la fin du film dont elle est la courageuse héroïne n’aurait pas eu cette même portée émotionnelle. NOSFERATU est moins « arty » qu’on ne l’avait envisagé. On pensait qu’inspiré par la puissance du film de Murnau, Robert Eggers pousserait plus loin les expériences THE WITCH ou THE LIGHTHOUSE mais c’est en fait un film à peine plus radical que THE NORTHMAN qu’il réalise. Et tant mieux : pour ne pas singer le muet et tomber dans l’exercice de style un peu vain, il va chercher, avec son ratio 1.66, le juste milieu entre l’hommage à l’expressionnisme – filtres bleutés, noirs profonds, brouillards, importance des ombres qui sont parfois jouantes – et un langage beaucoup plus moderne, plus romantique, notamment dans le gore. En résulte une merveille formelle, où la référence et l’inventivité se disputent l’écran. D’aucuns pourraient résister à cette nouvelle figure de Nosferatu moins abominable que son illustre modèle ; il a pourtant pour lui un profil d’humain bâtardisé et un vice patent qui font froid dans le dos. Loin de céder à la facilité de ce mariage naturel entre son cinéma et ce récit ancestral, Eggers parvient à se réapproprier NOSFERATU non pas en force mais en nuance. Admirable.
Partagez cette chronique sur :
Réalisateur : Robert Eggers
Avec : Lily-Rose Depp, Alexander Skarsgård, Nicholas Hoult, Willem Dafoe
Pays : États-Unis
Durée : 2h12