LE MAÎTRE DU KABUKI

23/12/2025 - Par Aurélien Allin
Trois heures pour raconter cinquante ans de la vie mouvementée d’un acteur de kabuki. Ou probablement le meilleur programme de réveillon de Noël 2025.

Peut-être par habitude ou par praticité, le cinéma japonais distribué en France, depuis quelques années, se limite souvent aux propositions indépendantes et intimistes. On accueille donc avec joie LE MAÎTRE DU KABUKI qui, estampillé Toho et auréolé de ses 8 millions d’entrées en son pays, affiche un ADN de grand spectacle populaire. Et quel spectacle ! Nagasaki, 1964. La peau glabre d’un cou nu que l’on maquille de blanc. Kikuo, adolescent, se rêve onnagata, ces hommes qui, dans la tradition séculaire du kabuki, endossent les rôles féminins. Ce soir, devant son père yakuza fier et fasciné, Kikuo donne une représentation dans une petite auberge traditionnelle. Dans le public, Hanjiro, star des planches, l’observe avec intérêt. Le réalisateur Lee Sang-il prend instantanément le spectateur au col avec cette séquence liminaire tour à tour mystérieuse, aérienne et galvanisante, où se mélangent la violence tragique des sentiments du kabuki et celle graphique des films de yakuza. 120 ans de cinéma japonais semblent presque convoqués ici, en quelques minutes. Adapté d’un roman éponyme de Shuichi Yoshida, LE MAÎTRE DU KABUKI suit, trois heures durant, cinquante ans de la vie de Kikuo, garçon en souffrance et en quête de reconnaissance, d’apprenti onnagata à professionnel, ses hauts et ses bas, la difficile maîtrise de son Art, la relation houleuse avec son maître, son duo prolifique avec le fils de ce dernier, Shunsuke, son rapport troublé à son passé familial, les conséquences sur autrui de ses sacrifices, et la difficulté de faire sa place quand « seul le sang compte ». Les pères, les fils, les maîtres, les élèves : à travers le kabuki, Lee Sang-il dissèque les névroses qui traversent le patriarcat et la masculinité à la japonaise, dans une grande fresque historique à la fois ample et intime, un mélodrame opératique. Si le récit perd parfois en fluidité en raison d’ellipses comme autant d’à-coups – le stigmate d’être une adaptation de roman, sans doute –, jamais LE MAÎTRE DU KABUKI ne perd en intensité, en intérêt, en pouvoir de fascination. Voire en pouvoir de sidération. Embrassant une forme cinématographique classique à la facture extrêmement soignée (décors et costumes magnifiques, photographie chaude et colorée), il se sert du kabuki comme vecteur de trouble et d’expérimentation. Peu importe que l’on soit profane, chaque scène de théâtre emporte, bouleverse – au premier degré et pour ce qu’elles racontent des personnages qui les jouent. Jusqu’à cette séquence finale splendide, à la fois grand spectacle bouillonnant d’émotions et moment suspendu de grâce.

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Sortie : 24.12.25
De : Lee Sang-il
Avec : Ryo Yoshizawa, Ryusei Yokohama, Ken Watanabe, Nana Mori
Pays : Japon
Durée : 2h54
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