EMMANUELLE
Emmanuelle (Noémie Merlant) est envoyée dans un grand hôtel de Hong Kong s’assurer de la qualité du service. Elle est, en vérité, commanditée pour « couper la tête » de la directrice (Naomi Watts). Ce qui pourrait être un point de détail de scénario n’en est pas un : la nuisance à l’autre, c’est un tue-l’amour dans un film où l’on part à la recherche du lien. Dans ce palace où personne ne se connaît, où tous sont étrangers, où les relations sont sans lendemain, est-il plus facile de jouir ? Dans le film d’Audrey Diwan, les déambulations lascives d’Emmanuelle sont un geste politique : elles sont l’occasion de déconstruire le capitalisme, le patriarcat qui agissent comme une censure, loin des promesses d’abondance. Un monde ultralibéral, productiviste, promet le plaisir mais crée la frustration. L’érotisme découle alors d’un affranchissement des entraves et d’un déchaînement des forces. La sensualité d’un ouragan qui cogne aux fenêtres par ici, un glaçon qui glisse sur la peau par là. L’époque est à l’interrogation des regards et aux convergences des luttes. Les corps se libèrent des vieux carcans. EMMANUELLE n’est plus le cinéma érotique tel que plusieurs décennies de cinéma l’ont imposé. Les silences et les pauses sont affriolants, la performance – qui pourrait rapprocher l’érotisme du X – n’est plus requise. L’exotisme, combinant le mystère et l’altérité, est cérébral mais jamais paternaliste et s’oppose au néocolonialisme, dénoncé subtilement par Audrey Diwan. C’est un film étrange, à peine émoustillant et pourtant profondément sensuel qui théorise le male gaze et le female gaze mais sans poncifs relous. C’est fascinant, pour ceux qui aiment interroger ce qu’ils voient, de constater que la réalisatrice réussit haut la main le défi de créer le désir sans objectifier. Comment faire du cul féministe, en respectant toutes les sexualités, la soumission, le voyeurisme ? Intéressant dans sa théorie, EMMANUELLE est aussi plein de cinéma, totalement minimaliste, ou convoquant la luxuriance des films de Wong Kar-wai et exploitant à plein les décors d’un Hong Kong underground lors d’une escapade nocturne d’une tension sexuelle explosive. L’héritage du film de Just Jaeckin, qui avait fait se rejoindre le cinéma populaire et sa marge, c’est de recréer cinquante ans plus tard, alors que les films sont de plus en plus désexualisés pour plaire au plus grand nombre, un questionnement sur l’érotisme et les corps dans l’espace artistique mainstream. Et d’interroger plus avant la société et ses images.
Partagez cette chronique sur :
Réalisateur : Audrey Diwan
Avec : Noémie Merlant, Will Sharpe, Naomi Watts, Chacha Huang
Pays : France
Durée : 1h56