DRAGONS
La prolifération des remakes de films animés en prises de vues réelles s’est accompagnée d’une question récurrente : « à quoi ça sert ? ». Si personne n’est dupe des motivations commerciales de ces projets, chacun devrait aussi se souvenir qu’en Art, la notion d’utilité n’a aucun cours. Cette question évacuée, reste le cœur de la démarche critique : juger ce qu’un objet artistique accomplit ou pas. Dean DeBlois ne le cache pas : s’engager à refaire lui-même DRAGONS revenait avant tout à protéger son film, s’assurer que personne ne viendrait en bafouer le cœur, l’esprit et le sens. Il prend le parti de ne pas bousculer outre mesure DRAGONS en ajoutant « artificiellement du gras à une histoire à la base très épurée ». Cette version live suit ainsi à la lettre le récit de son aîné animé, souvent au dialogue près, parfois au plan et au thème musical près. Cet exercice de décalque n’a rien de stérile car DRAGONS y opère un geste passionnant, inverse à celui de l’animation. Cette dernière s’échinait à injecter du naturalisme dans l’artificiel, notamment en privilégiant une lumière réaliste, quitte à plonger les décors dans l’ombre – démarche alors peu courante dans les films animés américains. DRAGONS 2025, lui, s’avère de facto plus organique : il capte une réalité palpable avec des acteurs en chair et en os évoluant dans des décors en dur, et présente des effets visuels photoréalistes. Pourtant, DeBlois parvient à y insuffler de l’artificialité et de la fantaisie, n’oubliant ainsi jamais totalement là d’où il vient – par exemple, un certain humour cartoon persiste avec le personnage de Gueulfor incarné par Nick Frost. Cette subtile nouvelle bascule entre réalisme et artificialité engendre une évolution du film à un niveau presque chimique et intangible. Car ce DRAGONS, s’il marche dans les pas de son aîné, voit ainsi ses émotions se transformer, un même dialogue pouvant se révéler tout aussi drôle et, dans le même temps, bien plus cruel que dans l’animé. Krokmou, porté par une physicalité plus fouillée et plus « naturaliste », une respiration plus profonde, des râles plus sourds, impose une stature plus écrasante. Chaque scène de vol conserve ainsi une splendeur lyrique et euphorisante tout en se faisant plus puissante et impressionnante. Cet impact émotionnel transformé, souvent renouvelé et parfois décuplé, naît notamment d’un parti-pris très malin de DeBlois : plutôt que de bousculer le récit de DRAGONS, il saupoudre quelques ajouts et surtout, étire la durée d’une demi-heure et permet à chaque scène, chaque moment, chaque dialogue, chaque rire ou chaque larme d’exister pleinement et de démultiplier son écho. Ainsi, les personnages secondaires s’épanouissent d’autant, à l’image de de Rustik le Morveux, dont la relation conflictuelle avec son père donne de la profondeur à sa personnalité fanfaronne ; des thématiques se font jour – les notions de privilège et de déterminisme ; la portée politique du film résonne avec toujours plus de force et de pertinence qu’il y a 15 ans. Peut-être qu’accéder à tout ce que DRAGONS accomplit nécessitera davantage de travail et d’attention au public, notamment pour dépasser les préjugés qu’un tel projet peut charrier ou pour oublier le choc de voir cet univers et leurs personnages prendre vie. Pourtant tout est là, à l’écran : Dean DeBlois parvient à un résultat inespéré, presque inexplicable, un exercice de remake dont le clone n’est jamais tout à fait différent, ni jamais tout à fait identique.
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Réalisateur : Dean DeBlois
Avec : Mason Thames, Nico Parker, Gerard Butler, Nick Frost
Pays : États-Unis
Durée : 2h06