CLOUD
Avec son premier film d’époque, LES AMANTS SACRIFIÉS, Kiyoshi Kurosawa avait mis en scène une tragédie intemporelle. Quatre ans plus tard, le cinéaste japonais revient à l’ultra contemporanéité. Bien que de formats et de genre différents – une constante dans la carrière du cinéaste de ne pas se laisser enfermer dans la moindre case –, le moyen-métrage CHIME et le long-métrage CLOUD partagent le même ADN : ils regardent le réel et l’époque à travers un filtre d’étrangeté propre à chacun, pour livrer un portrait particulièrement acéré de leurs névroses.
Moins immédiatement retors, CLOUD est une bombe à retardement. Le récit se déploie tout d’abord dans un réel concret, trivial, presque inintéressant : Ryosuke, ouvrier en usine, gagne le plus gros de son argent en revendant sur Internet divers produits sur lesquels il spécule – jeux vidéo, machines miracle, figurines, etc. Peu à peu, son monde va dérailler : sa petite amie, d’apparence douce et discrète, révèle une étonnante vénalité ; son ami de fac, lui aussi revendeur, sombre dans la déprime ; son patron le presse à devenir chef d’équipe, quitte à le harceler le soir en bas de chez lui. L’étrangeté s’installe, grandit à chaque scène, le spectateur en venant même à questionner ses sens – a-t-on vraiment vu cette présence fantomatique dans le bus ? Lorsque Ryosuke plaque Tokyo pour s’installer à la campagne et être revendeur à plein temps, la spirale s’accélère : des clients mécontents s’allient contre lui et tentent de le retrouver… Ainsi, ce qui avait débuté comme un procès à charge du matérialisme, d’un monde du travail abrutissant où les jeunes peinent à trouver leur place et plus largement du capitalisme comme addiction aliénante à la réussite, tourne au cauchemar. Mais de manière plus terre-à-terre que CHIME. Pourtant, aussi concrète soit la menace qui pèse sur la vie de Ryosuke, elle n’en apparaît pas moins aléatoire, presque irraisonnée. Toute l’horreur étouffante du film est là : comment donner sens à cette fièvre choquante de violence ? CLOUD revêt alors une charge symbolique passionnante – et si la meute qui assaille le jeune homme était la manifestation physique de la folie des réseaux, comme une relecture 2.0 de KAIRO ? L’épilogue ajoute une dose de mystère inutile, et sans doute un peu bancale, mais ne retire en rien la richesse de cette fable du réel à combustion lente. CHIME. CLOUD. Ou comment capturer l’esprit tourmenté d’une époque insensée.
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Réalisateur : Kiyoshi Kurosawa
Avec : Masaki Suda, Kotone Furukawa, Daiken Okudaira, Amane Okayama
Pays : Japon
Durée : 2h03